De folles journées

 

 

J’étais las. Malgré une arrivée saluée par l’exubérance de la végétation enfin méditerranéenne, tropicalisante, je subissais peut-être une dépression linguistique.

            Italianisé pendant une vraie journée—de l’aube aux douze coups de la nuit—, je regarde avec un mépris involontaire le sourire—non hollywoodien!—de Goran Ivanisevic sur une affiche géante (C’est un champion de tennis). De même cette langue slave étalée partout et écrite en lettres latines ! Et puis ma vessie qui m’envoie des signaux d’engorgement, mes pores qui sont bouchés... Le temps est bleu, parsemé de ouate. Un écran inhumain¾ par son opiniâtreté¾ nous indique qu’il fait 16 degrés.

Rijeka. Dans le doux pays de Hrvatska. Assis sur un banc, face à la mer, je me dis que, la veille, fort d’avoir été ensorcelé par Venise, je me suis crû capable d’ensorceler les pauvres conducteurs de Mestre. Les rencontres avec les conducteurs, la magie vénitienne m’avaient fait croire que la réussite était au bout de mon doigt. Mais il m’a fallu perdre une bataille pour mûrir. Mûrir jusqu’à mettre la main à la poche, et soudoyer une femme qui détenait des billets, derrière un guichet.

Ma volonté d’en finir avec l’Italie m’a dégagé une longue journée d’exploration en terre neuve. Mon bus ne partira que vers 20h30 et je paisse le long de la mer.

            Troublé par la liberté, je suis ! Heureusement, Rijeka¾ou Fiume, la ville yougoslave convoitée par Mussolini¾est chaleureuse.  Les gens n’affichent  rien de grincheux. Un café Internet pourrait-il  m’apporter un peu de réconfort ? Le cyber m’accueille avec une musique trop forte. Une musique dominatrice ! Je suis devenu très sensible aux tentatives de domination d’autrui. Je fuis donc dans un premier temps cette atmosphère sombre et martelée. J’aperçois, sur mon itinéraire dévié, deux ouvriers surveillant un trou au seuil d’un clocher de pierre taillée blanche. Les travaux en de tels endroits nous éclairent sur le passé du sol ! Mon intuition se trouve confirmée au-delà de toute attente. A la rencontre de nos regards plongeants, une superbe mosaïque de tesselles rouges-briques et noires ressuscite un passé refoulé. Je remarque des barbus à lunettes qui manipulent des appareils photos près d’une camionnette. Je tente de m’y arrimer.

¾ « arrrkhéologue ? »

Le premier barbu acquiesce, perplexe. Manquant de vivacité linguistique, écartelé entre le russe, l’anglais, l’allemand et un serbo-croate embryonnaire, je reste muet ! Je m’éloigne bêtement après un silence un peu gênant. Je me retourne un peu plus loin. Le barbu m’a suivi du regard. Je fais le tour du pâté de vieille ville et reviens sur la petite place. Les archéos sont retournés à leurs pénates, ou sont partis dans quelque rade du coin.

A quelques rues du clocher, une épicière compréhensive installe les fines rondelles que je lui ai fait couper dans un petit pain. C’est ainsi que je romps mon jeûne matinal par un petit échange familial. Une femme m’a préparé ma tartine !

Régénéré, j’affronte la tumultueuse cyber-taverne. Je succombe à la promotion une heure d’internet plus une bière allemande pour 22 kunas. Je pressens des frustrations. Un  message trop succinct de Ben, mon guide collectionneurs de rumeurs, qui me laisserait dans un brouillard logistique. Et puis, internet, si tu n’as pas prévu de tâches créatrices, peut te gaver de messages impossibles à envoyer, d’absences de résultats à tes commandes, de lenteurs inavouées par le loueur de clavier. Tout se passe bien. Ben me donne même une indication que je snobe. Je le payerai ! Sa ville se prononce « Djilann » en albanais et il ne vaut mieux pas demander sa direction avec des toponymes serbes! Les villes ont presque toutes une double-appellation. Je n’ai pas l’esprit assez souple !

            Le manque de sommeil, la déréglementation de mon quotidien et une expérience de la folie vécue à Venezia m’ont émietté !

En longeant la côte portuaire de Rijeka au plus près, j’ai été fasciné par la gare ferroviaire presque désertée. Construite par un architecte hongrois au siècle dernier, du temps des Habsbourg et de l’Empire « central ». Devant ce grand bâtiment « versallien », une locomotive née en 1911, elle aussi en Hongrie, m’explique qu’elle avançait grâce à l’ébullition de sa gigantesque bouilloire. Le feu qui la chauffait laissait échapper une fumée noire. La vapeur s’y mêlait, blanche comme neige. Coincé dans une ville, et malgré sa douceur, j’expérimente l’action de traîner. Car je ne sais pas encore provoquer les aventures ! Eh bien, il est plus facile de traîner quand on a beaucoup d’argent ! Mes kunas filent irrémédiablement alors même que je me retiens. Malgré la nourriture achetée en kit et assemblée par moi-même, et un extra d’une bière, j’en suis réduit à tremper mes pieds meurtris par mes plaisirs de pauvres¾la marche¾ dans l’eau salée. Et à exécuter des contorsions yogiques sur mon petit banc et sous une fine et petite pluie vespérale.

            Je ne sais pas encore jouer tout seul. Pourquoi voyages-tu ? J’apprends à être, je pars à ma découverte. J’attends que, bientôt, bientôt, quelque chose se produise

 

L’autobus a l’ambition de son prix, qui est occidental. Je suis presque le seul occupant à bénéficier de deux places et j’en profite pour me réapprovisionner en rêve et  en immobilité. Le bus vient de Trieste et ses gentilles étudiantes italiennes ont l’air d’aller en Bosnie. Non, non. Je ne vais pas par là ! Ma destination est encore plus sauvage !

            Je suis réveillé par le jour et les paysages dalmates. A couper le souffle ! Des fjords ! De la mer encastrée entre les îles, les montagnes ! Je suis frappé par des plantes flottantes et rougeâtres. Les tunnels ne sont pas éclairés et on voit bien qu’ils ont été creusés par l’homme. En effet, leurs parois ne sont pas lisses comme nos ciments ! Le superbe pont qui mène directement à Dubrovnik est désaffecté et nous faisons humblement le tour de l’arrière fjord.

            Je ne vois de Dubrovnik qu’une aimable jetée et des pierres blanches taillées un peu partout. Depuis les dalles sous nos pieds jusqu’aux parements des murs, le pays me comble de sa plus grande richesse.

La nécessité d’acheter de la monnaie locale me jette dans les bras des autochtones. Plusieurs tenanciers de petits kiosques à gourmandise me refoulent. Ils ne changent pas et ne savent pas où le faire. Je vends ma phrase en croate à un pompiste et son acolyte contre une direction et un nom de restaurant ou d’hôtel où je trouverais mon bonheur. Ma petite ballade est charmante : je surprends la population locale dans ses activités dominicales. Seules deux boucheries et un marché aux fleurs sont ouverts. En face d’une petite gare maritime, je viens à bout d’une petite série de tentatives infructueuses. L’étranger maladroit, à l’échine courbé par un faix de vagabond, a réussi à s’acheter un billet de bus ! Posséder un billet est l’un des plus grands réconforts pour un étranger. Presque égal à celui de savoir où il va dormir.

            Mon bus arrive mais nous ne sommes que quatre à monter dedans. Tous peut-être sont des merles blancs, mais deux seulement s’identifient et se connectent aussitôt. Shima le nipp et moi le franco-holl. Il est occidentalisé sans avoir la dégaine à la mode chez les Japonais : cheveux longs teints en blond. Je dis occidentalisé mais je me fourvois sûrement. J’entends par là qu’il ne ressemble pas à ses congénères, avides de voyages en troupeaux et de photos, qui nous paraissent d’ailleurs impersonnelles. Je suis tombé, moi qui parlais d’apprentissage de la vie, sur un lonely traveler ! Astucieux, il photocopie les quelques pages du guide australien « lonely planet » qui informe le vagabond ennargenté de tout ce qui touche à l’intendance. Surtout, il cherche les coins sans touristes. Il profite traîtreusement de la non-appartenance à l’OTAN du Japon pour muser en ces contrées meurtries par les guerres ! Il a ainsi traversé l’Albanie en entrant par Girokäster et en ressortant par Korça. Il comble maintenant quelques jours en attendant un bateau vers l’Italie. Ce ferry partirait de Dubrovnik ou de Durrës, en Albanie. Les Albanais étaient très surpris de le voir et il n’a senti aucune agressivité dans l’air. Il était frappé par l’ambiguïté de l’identité albanaise : à la fois européenne et non-européenne. Mais leur certificat d’authenticité européenne est en règle ! Les Illyriens leurs ancêtres ont donné Alexandre le grand au monde(Même si les Grecs et les Macédoniens le revendiquent aussi) ! Shima a ensuite vadrouillé en Macédoine, en Serbie, puis en Bosnie ! Dans ces dernières contrées, il a rencontré d’autres conationaux de son espèce, la plus sauvage ! Il voyage depuis deux ans. Il a fait toute la route depuis là-bas, par la Thaïlande et l’Inde. Il a beaucoup apprécié Yéroushalaym sans touriste. Il y a travaillé dans la seule auberge de jeunesse ouverte. Trois mois à Jéru, puis trois au Caire.

            Je lui confie que sa curiosité bouleverse les pauvres représentations que je me faisais des Nippons. Je les pensais ultra-soumis, ultra-froids, ultra-conformistes. Un proverbe russe dit justement : « У кого чего болит, тот о том и говорит ». Ce qui signifie, en moins poétique : « ce dont je souffre, j’en parle ». C’est le contraire du refoulement, l’extériorisation et l’explicitation de ce qui nous tourmente, nous hante.

¾ Est-ce que ton goût pour la liberté te distinguait des autres, pendant ton enfance ou tes études ?

¾Je me souviens que je détestais porter l’uniforme alors que c’était plutôt un motif de coquetterie pour mes camarades !

Shima a terminé des études de chimie voici 5 ans mais il a tout oublié et ne travaillera pas dans cette bulle. Il doit cependant rentrer pour bosser ! Il ne veut pas également enseigner. Il est sûr qu’il oubliera son anglais faute de pratique.

¾Tu peux regarder des films en version originale ! C’est souvent là que l’on apprécie le mieux la musicalité de la langue de tous les jours !

¾Je n’aime pas les sous-titrages ! Ils m’empêchent de voir !

¾ aaaah !Tu es un « visuel » !Tu peux alors écouter des films ! Tu écoutes une bande que tu te fais des films anglo-saxons qui te plaisent !

Tiens, j’ai une question pour toi. Est-ce que les films de Kurosawa reflètent l’âme japonaise ? Ou bien est-il un occidentaliste ? Ses films, Roshashen, Dersou Ousala et FF ne m’ont pas vraiment dépaysés. Et il utilise de la musique classique !

Nous discutons gaillardement¾les routards sont les commères de la planète¾, et nous sommes surpris de devoir descendre au milieu des montagnes. Nous devons traverser la frontière tout seuls. Apparemment, les relations entre la Croatie et l’ex-Yougoslavie sont tendus ! Un officier en civil examine avec méfiance nos passeports après que le personnel de douane les a visés. Il nous demande si nous sommes ensemble et où nous allons. Pris au dépourvu, je dis la vérité : que nous venons de nous rencontrer et que je vais au Kosovo. Même la vérité ne choque plus ! Nous parcourons le nomen’land, en fait, un ancien sentier de chèvre qui a dû être élargi avec difficultés. Les collines sont très encaissées et nous pouvons toucher les cyprès de l’autre versant de la petite vallée en tendant la main. Quelques camions sont en attente devant le poste monténégrin. Officiellement, comme le dit hypocritement le guide Gallimard de la Croatie, il faut un visa et une invitation. Pratiquement, il suffit d’un passeport ! On nous retient, plus amicalement. Les tampons se perdent et ils sont intrigués par la présence d’un Japonais. Shima est peut-être premier de cordée ! Il prépare une brèche pour d’autres apprentis ethnologues du soleil levant ! Un bus nous attend de l’autre côté, le trans-côtier du Monténégro. Une petite vieille méfiante nous a pris en sympathie après avoir eu peur que nous restions bloqués. Mais elle a une attitude craintive. Elle me prodigue des signes discrets d’encouragement. Le chauffeur et le contrôleur sont vite rassurés par notre bavardage de poulailler. Les bavards sont inoffensifs !

Shima connaît toute sorte d’itinéraires dans la région. Il me montre sur ma belle carte géographique du temps de la grande Yougoslavie les routes qu’on lui a recommandées. Effectivement, un liseré vert le confirme. Les Japonais sont des explorateurs à la recherche de voies « intéressantes » ! Il en a rencontré qui se sont fait refoulés en sortant du Kosovo par la Serbie. Ah, vous êtes entrés au Kosovo sans visa yougoslave ?! Et bien ressortez  par où vous êtes venus ! Pour continuer sur Podgoritsa, la capitale du Monténégro, le chauffeur m’indique qu’il faut que je descende au même arrêt que Shima : la ville de Kotor. Il y a des bus toutes les heures, mais je répugne à quitter si rapidement ce Shima que la fortune m’a présenté. Nous décidons de manger ensemble. Je devine, aussi, que je devrais passer la nuit à Podgoritsa.

La guichetière a accepté de garder mon sac dans sa loge et nous quittons la gare routière en direction du centre historique. Perturbé¾initié ?¾déjà par mes labyrinthes vénitiens, j’identifie comme un expert la folie locale. Kotor se trouve au pied d’un falaise abrupte au sommet de laquelle un roi fou a construit une enceinte protégeant une forteresse. Les restes de la forteresse et de la muraille ont la même couleur que la falaise et le résultat est saisissant : que défendait-on ? Contre qui ? Si ce roi n’était pas fou, quels étaient les psychopathes avides de conquérir ces beaux rochers noirs et gris où poussent, çà et là, quelques brins d’herbes ?

Nous déjeunons au café de l’équipe de foot local. Loin des modes touristiques ! Les petites tables sont vides mais nous sommes les bienvenus. Nous réussissons à commander sans carte et sans pousser l’impudeur à entrer dans la cuisine.  Du kébab¾localement, ce sont des boulettes de viande¾ pour moi, et du goulash¾une potée¾pour Shima. Aux euros qu’on tend à notre hôte, on nous rend une pièce de deux DM(deutschmark)! Je suis persuadé qu’il s’agit d’une plaisanterie pour extorquer un très modeste pourboire. Il a remarqué que tous les prix étaient indiquées en DM. Comme les monnaies européennes ont été remplacées par l’euro depuis trois semaines, que l’on nous a bien montré les images des anciens francs perforés dans les banques, mon désir de cohérence hurle à l’anomalie.

Shima a une approche plus expérimentale. Il s’approche d’un kiosque, prend un paquet de Tchwingum et donne sa pièce. Le jeune vendeur lui rend la monnaie ! Je lirai le lendemain dans un journal monténégrin : « la bundesbank est notre tank » ! Les devises européennes ont disparu le 17 février 2002. Les DM ont cependant continué à être utiliser au Kosovo jusqu’à la fin du mois. Ce qui est déjà étrange. Mais apparemment, le Monténégro y a droit jusqu’en avril ! Les Monténégrins ont complètement confiance. Ils donnent des euros et reçoivent des DM en monnaie ou vice-versa. Il n’y a pas de marché noir de change euro-DM. Les Allemands tissent de ces fils dans leurs zones d’influences !

Décontenancé intellectuellement, j’accompagne Shima chercher l’hôtel qu’un co-national de rencontre lui a conseillé. La vieille ville est spectaculaire. Entièrement en pierre, de la tête aux pieds. Deux flics locaux se proposent de nous conduire dans le dédale de ruelles jusqu’à l’enseigne de l’hôtel. Shima n’obtient pas le prix escompté, même en avançant un argument de poids : il restera deux nuits. 50 euros, c’est trop ! Nous quittons le « rendez-vous »¾appellation kotorienne¾ à la recherche de quelque chose de moins cher. Je ne savais pas qu’un Japonais pouvait faire attention à l’argent. Dix mètres plus loin, un retraité nous hèle de sa fenêtre, la bouche à moitié pleine. Montez si vous êtes intéressez par une chambre ! Nous entrons dans un appartement cossu. Par de bordel, ni de livres, mais des nappes, des petits meubles, des tapis, des vases, des tableaux, un intérieur d’officier de marine à la retraite ! Il parle assez bien anglais et ses prix sont humains. Nous discutons sur son pallier. Il a été au Japon et me demande pourquoi je pars. Quand il apprend que je vais au Kosovo, il se ferme comme un huître et fait mine de clore la conversation. Devant ma perplexité, il s’explique, indigné.

¾On a arrêté deux diplomates américains ! Son regard est furieux et il me mime des poignets menottés. Ne prononce jamais le mot Amérique et ne parle pas de Kosovo !

Sa colère m’a troublé. Je ne m’attendais pas à une telle passion. Vais-je devoir cacher ma destination ? Shima aussi est impressionné. Il me demande d’être prudent ! Nous regagnons la mer. Il pleut doucement. Je me rafraîchis la plante des pieds. Je les maintiens enfermés dans mes chaussures depuis le début du voyage. A peine pouvaient-ils sortir pendant la nuit. Depuis que je squatte les bus, au moins respirent-ils. Depuis que je longe la côte adriate, au moins se baignent-ils. Mais ce auquel ils aspirent, le sable, l’herbe humide, la pierre chaude, appartient à mes archives nerveuses.

Nous buvons un café turc à la cafète de la gare. Quelques hommes s’enfilent des bières au comptoir en nous jetant des regards¾en biais, évidement. Il est tôt dans la saison pour les touristes. Nous sommes le samedi 11 mars.

Adieu Shima !

Curieux de quitter quelqu’un qu’on connaît depuis quatre heures ! Frères de route, frères d’aventures tordues ! Car nous convoitons les moments incongrus. Comme le silence du ville côtière endormie à trois du matin. La tiédeur de sa nuit réconfortante accueille les passagers qui déplient leurs bras, leur jambes, leur colonne vertébrée ! Quelle douceur !

Nos routes ont divergé. Mon bus ramasse et ramène les ados vers leur école. Un dimanche soir comme un autre ! Je me prépare à la nuit et à la difficulté de se renseigner pour savoir comment me rendre à un lieu tabou. Les montagnes sont spectaculaires. En montée, le bus ne dépasse pas 20 km/h. La nuit tombe en rythme avec notre découverte du plateau de Podgoritsa. La ville est très étendue. J’essaye de prendre des repères, mais il fait assez sombre. Dès la descente du bus, les autres passagers se sont éparpillés. Il ont hâte de profiter des derniers instants du week-end. Je déchiffre dans le petit hall de la gare routière l’affiche des horaires et compare ses destinations avec ma carte. Pas de bus directe pour le Kosovo, mais certaines villes semblent se situées sur sa frontière. Ces bus partent vers 8 heures du matin. A la sortie, j’hésite un moment à côté de deux chauffeurs de taxi et leur demande s’ils connaissent une chambre à louer.

¾ Les hôtels à Podgoritsa sont très, très chers pour les étrangers ! Combien pouvez-vous payer ? Me répond-on en anglais.

¾ 10 euros.

¾ Impossible ! Il n’y a rien à moins de 25 euros !

Je fais mine de partir et son collègue me propose le taxi plus la chambre pour 15 euros. Je compute avec douleur et accepte. Il téléphone et nous voilà partis ! Le trajet dure un bon quart d’heure. Nous discutons un peu. Il me promet que la chambre est très bien. Je suis un peu inquiet quand nous quittons la ville pour une zone « résidentielle »non éclairée, non asphaltée, de constructions hétéroclites non entourées de petits parcs !

¾ vous m’emmenez à la ville voisine ?

¾ Non, non ! Nous y sommes dans cinq minutes !

Il me pose devant une grosse maison inachevée et sonne au rez-de-chaussée. Il parlemente avec la femme qui lui donne une clé. Il me conduit à l’étage par un escalier de façade sans rambarde ! Ma « suite »est luxueuse ! Grand lit, télé, balcon sans rambarde lui aussi. Juste derrière la porte, baignoire et, je le vérifierai plus tard, eau chaude !

Je comprends que je fais un investissement « hygiène et propreté ». Je vais laver mon corps, mes vêtements et mon cerveau grâce aux draps propres, à l’oreiller et au matelas rebondissant ! J’ai passé deux nuits dehors et une nuit dans le bus. Quatre journées de déambulations. Je vais au lavoir ! Laver mes chaussettes et mes T-shirt dans la baignoire me permet de rester plus longtemps pour jouer avec l’eau chaude.  Je regagne ma chambre en saluant un couple d’occupants pressés. Un volet métallique protège la fenêtre. Vais-je dormir avec un courant d’air vraiment frais ? Les tueurs qui rôdent dans ce paysage lunaire ne réussiront-ils pas à grimper sur mon balcon ? j’essaye de me dé-conditionner de mes peurs, comme j’ai si bien réussi à Trieste, mais je n’y parviens pas. Je baisse le rideau protecteur de mes rêves.

 

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