1. LE
BLOCUS DE LENINGRAD
J'ai grandi pendant le
siège de Léningrad,
Je ne buvais pas, je
riais encore moins,
Je regardais brûler les
docks Badaiev dans la rade
Je faisais la queue pour
un morceau de pain.
Courageux citoyens! Mais que fabriquiez-vous alors,
Alors qu'ici, la ville ne
comptait plus ses morts ?
On mangeait du pain de
plâtras.
Moi, je prenais pour du
tabac
Les mégots mêlés à Dieu
sait quoi sur les quais, près du port.
De froid, les oiseaux, ne
s'envolaient plus.
Les voleurs n'avaient
plus rien à se faire.
L'hiver, pour prendre mes
parents, des anges sont venus.
Et moi, j'avais peur de
tomber à terre.
Que d'affamés, folie, de
gens souffrant de dystrophie,
Tout le monde mourrait de
faim, même le procureur.
Vous, ceux de
l'évacuation,
Vous lisiez les
informations,
Ecoutiez à la radio
“l’agence centrale d’info”
Le blocus a duré, a duré
trop.
Finalement le peuple a
chassé ses ennemis.
Sous l'aile du Christ,
tranquillement, on aurait pu vivre tous en repos.
Mais la police ne nous
l’a pas permis.
Je vous le dirai sans
fard: “ Vous qui portez des brassards!
N’essaie pas de sonder le
fond de mon cœur !
Ta vie privée, la
véridique,
Et celle pas très
patriotique,
Les R. G. et les autres
les connaissent déjà par coeur. »
1961
2. TATOUAGES
Lui et moi, on ne te
partageait pas,
Mais qu’on t'aimait,
c'est déjà du passé.
Ton image, je l'ai dans
mon âme, Valia.
Alexis, sur la poitrine,
se l'est tatouée.
Pour nos adieux, sur le
quai de gare, je t'ai promis
Jusqu’à la tombe de ne
jamais t’oublier.
Je t'ai dit : "Je
penserai à toi toute ma vie".
"Moi encore
plus », Alexis ajoutait.
Dis maintenant qui, de
nous deux, a le pire des sorts.
Qui, de nous deux,
souffre la plus grande douleur ?
Alexis a ton profil sur
le dehors,
Moi, j'ai l'âme gravée de
l'intérieur.
Quand j’ai si mal au cœur
que j’irais au supplice,
- Que mes mots n’aillent
surtout pas t’offenser -
Je demande d'ôter sa
chemise à Alexis,
Et je te regarde, je
passe des heures à te contempler.
Heureusement, j'ai un ami
qui m'est fidèle.
Il a pris ton image comme
modèle
Et il l’a tatouée près de
mon cœur.
Dire du mal des amis,
c'est désagréable.
Mais, j'avoue, tu m'es
plus proche par ce dessin
Parce que mon ou plutôt
ton tatouage
Est plus joli et bien
meilleur que le sien.
1961
3. AVENUE KARETNY
à Levon Kotcharian
Où sont-ils, tes dix-sept
ans ?
Sur la grande Karetny.
Où sont tes dix-sept
tourments ?
Sur la grande Karetny.
Où as-tu mis ton
soufflant ?
Sur la grande Karetny.
Où n'es-tu plus
maintenant ?
Sur la grande Karetny.
T’en souvient-il, ami, de
cette maison ?
Non, tu ne peux
l’oublier, certes, non !
Je dirai que c’est vivre
la moitié de sa vie
Si l’on n’a pas été sur
la grande Karetny .
Et comment….
Où sont-ils, tes dix-sept
ans ?
Sur la grande Karetny.
Où sont tes dix-sept
tourments ?
Sur la grande Karetny.
Où as-tu mis ton
soufflant ?
Sur la grande Karetny.
Où n'es-tu plus
maintenant ?
Sur la grande Karetny.
Elle a changé de nom,
maintenant
Tout est moderne, là-bas,
et pourtant
Quel que soit l'endroit
où se traîne ta vie
Un jour, tu passeras par
la grande Karetny
Et comment….
Où sont-ils, tes dix-sept
ans ?
Sur la grande Karetny.
Où sont tes dix-sept
tourments ?
Sur la grande Karetny.
Où as-tu mis ton
soufflant ?
Sur la grande Karetny.
Où n'es-tu plus
maintenant ?
Sur la grande Karetny.
1962
4. CONTE
Dans la steppe, il y a un
caillou
Et de l'eau qui coule
dessous
Sur ce rocher,
On lit ces mots gravés :
"Celui qui à droite
ira
Rien du tout ne trouvera
Celui qui ira tout droit
Nulle part n'arrivera
Celui qui à gauche ira
Rien du tout ne
comprendra
Et pour des clous ...
périra"
Ils sont là, devant le
rocher,
Sans chevaux et sans
épée,
Se demandant :
"faut-il y aller ou pas ?"
Le premier qui était
méchant
A droite a fichu le camp,
Est parti solitairement,
N'a rien vu
d'intéressant,
Ni hameau, ni
emplacement,
Est revenu, par
conséquent.
"Il n’y a pas de
chemin tout droit
Nulle part, on
n'arrivera"
Le second ne croit pas la
prédiction.
Il a relevé son
trois-quarts,
Partit tout droit sans
histoires,
Se retrouva en retard
Ou en avance, va savoir.
Il est arrivé nulle part
Alors, il se mit à boire,
Revenu au point de
départ.
Le troisième était benêt
Et rien du tout ne savait
Et sur la gauche,
Il est parti sans
crainte.
Va savoir si le temps
passa.
Aucune douleur n'endura,
But, s'amusa, rigola,
Jamais ne se fatigua,
Rien du tout il ne pigea,
Traversa comme ça sa vie
Et jamais, voilà, ne
périt.
1960
5. LES CORDES D'ARGENT
Je serre ma guitare
contre moi, les murs, écartez-vous !
La Fortune me fut
contraire, je n’aurai de liberté, ma vie durant.
Tranchez-moi donc les
veines, tranchez-moi donc le cou,
Seulement, ne coupez pas
Mes cordes, mes cordes
D'argent !
Je m'enfouis dans la
terre, je pourris solitaire.
Qui de ma jeunesse se
montrera compatissant ?
On rampe dans mon âme, on
la coupe en lanières.
Pourvu qu'on ne coupe pas
D'argent !
Noyez-moi, écrasez-moi
dans la boue à coups de pied,
Seulement, ne coupez pas
Mes cordes, mes cordes
D'argent !»
Qu’est-ce que c’est que
ça, les gars ? Je ne verrai plus
jamais
Ils ont gâché mon âme, ma
vie, m'ont privé de liberté,
Maintenant, ils ont brisé
Mes cordes, mes cordes
D'argent !
1962
* nuits sans lune ( car
les cellules restent allumées la nuit)
6. L'ANTISEMITE
Pourquoi passer pour un
bandit, un voyou ?
Car, de leur côté, bien
que, de loi, il n’y en ait pas,
Ils sont des millions
d’enthousiastes comme moi.
Il faut que je sache qui
doit être frappé,
Il faut que je sache, un
Sémite, qu’est-ce que c'est ?
Tantôt, c'est des gens
qui sont dignes d'honneur,
Tantôt, à cause d'eux, il
m'arrivera malheur.
Un pote, pilier de
bistrot, mon prof du moment
Me dit que les Sémites,
c'est des Juifs tout bonnement !
J’ai de la chance, les
copains, je n’ai pas à me plaindre !
Je suis tranquille à
présent. Qu’est-ce que j’ai à craindre ?
Jusqu’à aujourd’hui, moi,
eh bien, disons,
J’avais pour Einstein de
la vénération.
Les gens m’excuseront si
je demande sans vergogne :
Où dois-je alors ranger
Abraham Lincoln ?
Parmi eux, il y a Kapler,
une victime de Staline,
Parmi eux, le grand, l'immense
Charlie Chaplin,
L’ami Rabinovitch, les
victimes du fascisme,
Sans oublier le
père-fondateur du marxisme.
Après un casse, mon
ivrogne m'a raconté
Qu'ils buvaient le sang
des chrétiens, des bébés.
Et, dans un bistrot, des
gars disaient entre eux
Qu'il y a bien longtemps,
ils avaient crucifié Dieu.
Il leur faut du sang. Un
jour de colère,
Aux éléphants du zoo, ils
ont fait des misères.
Ils ont pris au peuple,
c’est une chose que je sais,
Tout le blé de la récolte
de l'année passée.
De Koursk à Kazan, le
long du chemin de fer,
Ils vivent comme des
dieux dans des datchas de rêve.
Je suis prêt à tout, à la
violence, la piraterie
Et je frappe les Youpins
pour sauver la Russie.
1963
7. LE BAL MASQUE
Dans notre équipe,
aujourd'hui, au boulot,
On annonça un bal masqué
rigolo.
D'éléphants et aussi de
poivrots,
Et tout ça, paraît-il, se
passera au zoo.
"Pourquoi faut-il
toujours se déguiser ?
Pour l'amour du Ciel,
dis-moi, ma beauté".
Elle m'a répondu :
"Habille-toi".
Moi, je lui ai dit :
"Pas devant toi"
Et elle : "Comme
toujours, tu seras le dernier".
"J'ai une robe à
Nadia, qu'elle a dit,
Maintenant, je vais être
comme Marina Vlady !
Et je passerai, tant bien
que mal,
Tout mon repos dominical
Avec ta gueule d’ivrogne,
certes, mais en habit."
Pourquoi ai-je fait le
repassage, ai-je sué ?
Au parc zoologique, on
m’a attrapé.
Alors, Colas, le chef
d’équipe
M'a donné un masque
d’alcoolique.
Et les copains, à boire
m’ont invité.
De nouveau au zoo, je
suis reparti.
Je vois deux femmes, deux
Marina Vlady,
Grimées en animaux, les
dames,
Avec deux hippopotames.
Aux aguets, je suis
devenu un fauve, moi aussi.
Au petit matin, à
l'équipe, on a donné
La prime et ils ont dit
qu'au bal masqué
J'avais joué avec brio
Pas seulement le rôle
d'un alcoolo.
Chez les hippopotames
aussi, j’aurais fait le guet !
1963
8.
LETTRE DES OUVRIERS DE TAMBOV
Lettre des ouvriers d'une
usine de Tambov aux dirigeants chinois
Le temps, chez vous, est
à l'orage, en Chine
Mais, à Tambov, c’est la
pause pour fumer.
On vous écrit ce billet
de l'usine,
A vous, amateurs
d’aventures risquées.
En ne signant pas les
accords, c’est un fait,
A tous les peuples, vous
en faites voir de drôles.
Vous démontrez, en
falsifiant les faits,
Que vous préférez le
général De Gaulle.
Chaque jour nous est
précieux, vital et, en outre,
Mais à moins que notre
mémoire ne défaille,
C'est bien vous qui avez
inventé la poudre,
Et qui avez construit la
Grande Muraille.
On sait que vous êtes un
peu nombreux là-haut,
Que trois cents millions
de morts ne vous effraient pas
Mais on est convaincu que
le camarade Mao
N'a pas lui même très
envie du trépas.
Quand vous n'aviez que de
l'eau à mettre dans votre riz,
On a fait preuve
d'internationalisme,
Quand vous mangiez le
pain qui venait d'ici,
Vous ne parliez pas alors
d'opportunisme.
Si vous craignez qu’à
Bonn, il y ait des revanchards,
Que Washington vous
cherche des embêtements,
Khrouchtchev l'a dit à
l’ONU, sans retard :
Nous, aussitôt, on
montrerait les dents.
Vous n'avez pas besoin
d'obus, ni de bombes,
Et, croyez-nous,
n'allumez pas la guerre.
On répondrait, si besoin
nous incombe,
Par une réponse
thermonucléaire.
Si vous souffrez du
prurit de l’oisiveté,
Il vous reste
suffisamment de boulot,
Tuez les mouches, baissez
la natalité,
Ou encore, exterminez vos
moineaux.
De nos affaires, cessez
donc de vous mêler,
On sait nous-mêmes où,
chez nous, le bât blesse,
Notre Comité Central l’a
dit par courrier,
Nous approuvons la ligne
qu’il professe.
1963
On se moque bien de
l'intrigue ou du thème :
On sait d'avance ce qu'il
y a au final.
Le seul livre sur terre,
le seul que j'aime,
Ça reste le code de
procédure pénale.
Quand ça va pas, quand
l'insomnie fait rage,
Que je me fais peur à
cause de la gueule de bois,
J'ouvre le code à
n'importe quelle page,
Et puis, je lis jusqu'au
bout, je n’arrête pas.
Je ne donnais pas de
conseils aux camarades.
Pour eux, c’est à
l'honneur le vol, l’agression.
Mais je viens de lire au
sujet de leurs salades :
Pas moins de trois ans et
dix, c’est un plafond.
Ces simples lignes,
pensez-y, valent les romans,
De tous les temps et de
tous les pays !
Les baraquements aussi
longs qu'un jugement,
Les cartes, les rixes,
mensonges et tyrannies.
Ah ! ne pas voir pendant
cent ans ces lignes,
Derrière chacune, il y a
le destin d'un lascar
Et je suis heureux quand
la peine est bénigne.
En voilà un, après tout,
qui est veinard.
J'ai le cœur qui bat
comme un oiseau blessé
Quand je commence
l'article qui parle de moi.
Le sang aux tempes n'arrête
pas de cogner
Comme les flics quand ils
viendront pour moi.
1964
11. LES ETOILES FILANTES
Non, ce combat, je ne
l'oublierai jamais,
Comme une averse, du
firmament muet
Les étoiles tombaient.
Une autre vient de tomber
et j'ai souhaité
Sortir du combat valide,
Si bien que ma vie, je
l'ai rapidement liée
A cette étoile stupide.
On nous a dit :
"Cette butte, il faut l'enlever,
N'épargnez pas le plomb
!"
Si bien que la seconde
étoile a roulé
Droit sur nos galons.
Je me suis dit : "Le
malheur est passé
Je m'en suis sorti par
bonheur."
Une étoile perdue du ciel
est tombée
Au fond de mon cœur.
Comme les poissons des
étangs, il y en a
Assez pour tous sur le
céleste dôme.
Si je n’étais mort, je
marcherais dans ce cas
Avec l’étoile jaune. *
A mon enfant, je l'aurais
bien donnée
Simplement pour mémoire.
Perdue au ciel, l'étoile
reste accrochée,
Elle ignore où choir.
1964
* Il s’agit de médailles
militaires.
12. L'HOPITAL
Rue de l'Arbat, je vivais
bien sage
Avec ma mère et mon papa.
Maintenant, je suis dans
des bandages
Au lazaret sur le grabat.
A quoi bon la gloire, les
gens dehors,
Tout comme l’infirmière
Klava !
Mon voisin de droite est
mort.
Celui de gauche toujours
pas.
Et dans son délire une
fois,
Mon voisin de gauche me
dit :
"Ecoute-moi donc un
peu, mon gars,
Tu n'as plus de jambe.
Elle est partie."
"Quoi ? Les gars,
mais ce n'est pas vrai ?"
Il plaisantait, pas
d'erreur.
"On coupera juste
les doigts de pied",
Qu'il avait dit, le
docteur.
Mon voisin de gauche, il
riait
Il ne faisait que des
plaisanteries.
Mais c'est de ma jambe
qu'il causait
Quand il délirait la
nuit.
Il se moquait : "Tu
ne te lèveras pas,
Ta femme, tu ne la verras
plus.
Essaye de regarder sous
le drap
Comment que tu es
devenu"
Je descendrais de mon
lit,
Si je n'étais pas
estropié,
Je lui ferais passer
l’envie
De rire au voisin d’à
côté.
Mon infirmière, je l'ai
suppliée
De me montrer comment
j'étais.
Si mon voisin de droite
vivait,
La vérité, il me la
dirait.
1964
Chanson
du film " je suis natif de l'enfance"
Jamais
on ne dresse de croix
Aux
cimetières militaires,
Y
sangloter,
Mais
on dépose toujours
Des
bouquets de primevères
Et
la flamme, toujours,
Est
allumée.
Sous
les obus, la terre
Se
cabrait vers le ciel
Et
elle s'est tue
Sous
le poids du granit.
Ici,
pas le moindre
Destin
personnel,
Il
n’y en a qu'un
Le
même pour tous, unique.
Dans
la flamme du souvenir,
On
voit l'incendie des tanks
Et
les incendies
Ravager
les isbas,
L'incendie
de Smolensk,
L'incendie
du Reichstag
Et
l'incendie dans le cœur
Du
soldat.
Pas
de veuves éplorées
Aux
cimetières militaires,
Ceux
qui viennent ici
Sont
gens plus mâles.
Jamais
on ne dresse de croix
Aux
cimetières militaires,
Mais
croyez-vous que ça fait
Moins
mal ?
1965
14. SE COUCHER AU FOND
J'en ai ras la gorge,
j'en ai ras le menton,
Même des chansons, je
commence à fatiguer.
Comme un sous-marin, ah,
se coucher au fond
Pour éviter de se faire
repérer.
Un ami m’a donné de la
vodka dans une tasse.
Un ami me dit que ça va
passer.
Il m'a présenté une fille
du nom de Grâce * :
"La grâce t'aidera,
la vodka va te sauver".
Ni vodka, ni grâce ne m’ont aidé, c’est bon
De l’une une gueule de
bois, de l’autre qu’en tirer ?
Comme un sous-marin, ah,
se coucher au fond
Pour éviter de se faire
repérer
J'en ai ras la gorge,
j'en ai ras le menton,
Oh, j'en ai assez de
chanter, de jouer.
Comme un sous-marin, ah,
se coucher au fond
Et ne pas donner ses
coordonnées.
1965
* Littéralement: Véra (la
foi)
15. DONNEZ DE LA VIANDE
AUX CHIENS
Donnez aux ivrognes du
kvas
Et peut-être ils
arrêteront.
Pour que ne s’engraissent
pas les freux,
Dressez plus d'épouvantails,
Pour que s'aiment les
amoureux,
Donnez-leur un coin
idéal.
En terre, jetez de la
semence,
Peut-être poussera le
blé.
D'accord, j’aurai de
l’obéissance,
Donnez-moi la
liberté !
Aux chiens, la viande, on
la donne,
Mais les chiens ne se
sont pas battus.
On donne de la vodka aux
ivrognes
Mais ils n'en ont pas
voulu.
On a fait peur aux
corbeaux
Mais ils ne veulent pas
s’enfuir.
On a marié les coeurs
Ils ne pensent qu’à se
désunir.
On a arrosé la terre,
Il n’y a pas d’épis,
mystère.
On me donne la liberté,
Que vais-je pouvoir en
faire ?
1965
16. LES FLEURS DU NO
MAN'S LAND
Juste à la frontière
Turquie-Pakistan
Il y a une bande neutre.
A droite, quand on regarde,
Il y a nos
gardes-frontières avec notre commandant,
Sur la gauche, dans le
bosquet, il y a leurs postes de garde.
Les fleurs qu'on trouve
dans le no man's land sont belles
D'une beauté
exceptionnelle.
La fiancée du commandant
a décidé de rappliquer
Pour vivre avec lui et dit : "chéri, et caetera".
"Il faut offrir un
bouquet au moins à la fiancée
Que sont des noces sans
fleurs ? Une beuverie, rien que ça !"
Les fleurs qu'on trouve
dans le no man's land sont belles
D'une beauté
exceptionnelle.
Une donzelle de l'autre
côté a eu la même lubie.
Vers l'autre galonné, rappliqua
elle aussi.
Elle aussi, elle a dit,
mais en turc : "mon chéri
On va faire la noce, se
prendre un peu de répit."
Les fleurs qu'on trouve
dans le no man's land sont belles
D'une beauté
exceptionnelle.
Nos gardes-frontières
font preuve de crânerie.
Trois partent en mission.
Parmi eux, le commandant.
Comment savoir alors que
ceux d'en face aussi
Avaient choisi cette nuit
pour trouver un présent ?…
Les fleurs qu'on trouve
dans le no man's land sont belles
D'une beauté
exceptionnelle.
Le commandant est saoul,
enivré par les fleurs.
Est aussi ivre-mort leur
commandant à eux,
En faisant "Oh
!" en turc, il tombe dans les fleurs.
Le commandant s'écroule
en braillant : "Nom de Dieu !"
Les fleurs qu'on trouve
dans le no man's land sont belles
D'une beauté exceptionnelle.
Le commandant somnole,
dans son rêve, il s’avère
Que la frontière est
ouverte comme les portes du Kremlin.
Il s’en fiche comme de sa
chemise de cette frontière étrangère.
Sur la terre de personne,
il veut faire son chemin.
Mais ce n’est pas
autorisé !
Pourquoi ? La Terre,
c’est un fait,
Observe la
neutralité !
Les fleurs qu'on trouve
dans le no man's land sont belles
D'une beauté
exceptionnelle.
1965
17. L'ADIEU AUX MONTAGNES
Chanson du film
"Verticale"
Nous revenons toujours
vers la ville et son bruit,
Vers le flot des
voitures. On ne sait où aller !
Et nous redescendons de
ces sommets conquis
En y abandonnant notre
coeur sur les crêts !
Arrêtez là ces inutiles
querelles !
A moi-même, je me suis
tout prouvé :
La plus belle des montagnes
ne peut être que celle
Sur laquelle on n’est pas
encore allé.
S’il ne suit l’élan de
son coeur, qui sera parti ?
Dans le malheur, qui veut
demeurer solitaire ?
Mais nous redescendons de
ces sommets conquis.
Que faire ? Les
Dieux eux-mêmes sont descendus sur Terre.
Arrêtez là ces inutiles
querelles !
A moi-même, je me suis
tout prouvé :
La plus belle des
montagnes ne peut être que celle
Sur laquelle on n’est pas
encore allé.
Que de mots, que
d'espoirs, que de chants, que de sujets
Eveillent en nous les
cimes qui demandent qu'on reste.
Mais nous redescendons,
pour un an, pour jamais,
Parce qu’il faut qu’en
bas nous revenions sans cesse.
Arrêtez là ces inutiles
querelles !
A moi-même, je me suis
tout prouvé :
La plus belle des
montagnes ne peut être que celle
Sur laquelle personne
n’est encore allé !.
1966
18. L'AMI
Chanson du film
« Verticale »
Si de lui tu ne sais rien
De rien,
Ni qui c'est, ennemi,
Ami ?
Si tu ne comprends pas
S'il est très bien ou
pas,
Vers les cimes, prends
ton gars
Par là,
Ne le laisse pas sur le
seuil,
Tout seul,
Encorde-le comme un frère
Derrière :
Vois à qui tu as affaire.
Dans les montagnes s'il
fait
Pitié,
S'il mollit et redescend,
Tremblant,
Si un pas sur le glacier
Loupé
Le fait abandonner :
C'est que ce gars-là
n'est pas
Pour toi.
Tu peux lui dire adieu,
Chasse-le.
Ces types-là ne valent
rien de bon,
Passons,
Pour eux, pas de
chansons.
S'il n'a pas pleuré, ni
Gémi,
Même si c'est de mauvais
gré
Qu'il ait
Avancé mais quand tu es
Tombé,
S'il a bien résisté.
Si c'est comme au combat
Qu'il va,
Si l'ivresse des sommets
Lui plaît,
Comme sur toi-même, je te
le dis
Mais oui :
Tu peux compter sur lui.
1966
19.
LA BETE
Dans
ce royaume où la vie était paisible,
Il
n’y avait ni guerre, ni tornade, ni fléau,
Apparut
un sanglier énorme, nuisible,
Sorte
de buffle, d’auroch, de taureau.
Le
roi, lui, dyspepsique, asthmatique,
N’inspirait
de grande peur qu’en toussant,
Pendant
que le monstre apocalyptique
Mangeait
ou enlevait les habitants.
Et
le roi de publier trois édits :
"Il
faut tuer cette tarasque en vitesse !
Celui
qui osera faire ceci, pour ceci,
Epousera
en justes noces la princesse."
Or,
dans ce royaume désespéré
Où
l'on s’esquive dès qu'on entre dans la place,
Vivait,
triste, en hussard, sans s’inquiéter,
Un
archer brave mais tombé en disgrâce.
Gens
et fourrures allongés à terre,
On
buvait de l'hydromel, on chantait,
Quand
dans la cour, les hérauts annoncèrent
De
prendre l'archer et de le traîner au palais.
Entre
deux toux, le roi dit : "Mon garçon,
Je
ne veux pas t'apprendre la politesse,
Mais
si demain, tu vainquais le dragon,
Tu
épouseras en justes noces la princesse."
L'archer
dit : "Quel beau cadeau que voilà !
Je
préfère un tonneau de vin de tes chais.
La
princesse, même gratis, je n'en veux pas,
Ton
dragon, même sans ça, je la vainquirai *."
"Tu
la prendras, dit le roi, point final.
Ou,
en moins de deux, je te mets en prison,
C'est
quand même une fille de lignée royale !".
L'autre
lui dit : " Tu peux me tuer, mais je dis non !".
Et
pendant que tous les deux se disputaient,
La
bête avait presque mangé femmes et bestiaux.
Il
se baladait aux portes du palais,
Ce
fabuleux auroch du genre taureau.
Ainsi,
rien à faire, son vin, il le gagna,
Vainquit
le monstre et s’échappa de la place
En
humiliant la princesse et son roi,
Cet
archer brave, mais tombé en disgrâce.
1966
* La première personne du singulier du verbe
russe n’existe pas.
20. LES FILES D'ATTENTE
Et les gens de maugréer
et de maugréer,
Et les gens, ils veulent
la justice ici-bas.
Vrai, nous étions dans la
queue les premiers
Et ceux qui sont
derrière, ils mangent déjà.
Voilà qu'on leur explique
pour tenter de les calmer :
"Nous vous prions,
veuillez partir, chers amis !
Ceux qui mangent, ce sont
des étrangers.
Et vous, sauf votre
respect, vous êtes qui ?"
Et les gens de rouspéter
et de rouspéter,
Sans nul doute, ils
veulent la justice ici-bas.
Vrai, nous étions dans la
queue les premiers
Et ceux qui sont
derrière, ils mangent déjà.
A nouveau, le chef de
rang de leur expliquer :
"Je vous en prie,
partez, mes chers amis !
Ceux qui mangent, ce sont
des délégués
Et vous, sauf votre
respect, vous êtes qui ?"
Et les gens de ronchonner
et de ronchonner
Et les gens, ils veulent
la justice ici-bas.
(Non, mais dites donc,
bon sang, ce n'est pas vrai, ça, c'est un monde !)
Vrai, nous étions dans la
queue les premiers
Et ceux qui sont
derrière, ils mangent déjà.
1966
21. MA GUITARE
Un musicien m'a
longuement expliqué
Que la guitare aurait
vécu sa vie,
Remplacée qu'elle est
maintenant par le synthé,
L'électropiano et
l’électroscie.
Ma guitare, c’est ainsi
Ne veut pas
d’aphasie :
Elle chante la lune au
firmament,
Comme lorsque j'étais
Encore tout jeunet,
Grâce à ses sept cordes
d'argent.
Hier sur le boulevard, il
y a quelqu'un qui chantait
D'une voix assurée, la
voix était belle…
Mais, me semble-t-il, la
guitare s'ennuyait
De devoir sonner sous
cette voix trop formelle.
Ma guitare, c’est ainsi
Ne veut pas
d’aphasie :
Elle chante la lune au
firmament
Comme lorsque j'étais
Encore tout jeunet
Grâce à ses sept cordes
d'argent.
L'électropiano, ce n’est
pas bien sûr pour moi.
D'autres arriveront avec
d'autres mélopées.
Ma guitare et moi, nous
ne partirons pas
Vers une retraite, aussi
méprisée que méritée.
Ma guitare, c’est ainsi
Ne veut pas
d’aphasie :
Elle chante la lune au
firmament
Comme lorsque j'étais
Encore tout jeunet
Grâce à ses sept cordes
d'argent.
1966
22. UNE RENCONTRE
Au restaurant, de
guingois, dans leur cadre terne,
"Les trois ours" * et "Le
preux blessé" * aux murs.
A une table, seul dans un
coin, un capitaine.
"Vous
permettez" et lui : "tu peux, c'est sûr".
"Prends-en une"
- "Des Kazbeks, je n'en fume pas, merci"
-"Bon, bois un coup,
va donc te chercher un verre,
En attendant le repas,
bois que je te dis,
A ta santé". -
"Pour ça, faut pas s'en faire"
"Hum, eh bien
quoi" dit le capitaine un peu gai,
"Ah, ben, tu la
siffles facile, la vodka,
Mais as-tu vu de près une
mitrailleuse, un blindé
Ou, disons, fait une
percée une seule fois ?
En quarante-trois, à Koursk
**, adjudant, moi, que j'étais
Derrière moi, si t'avais
vu ça…
C'est qu'il y en avait
derrière mon dos, vrai,
Tout ça pour que tu vives
bien, mon petit gars !"
Il jurait et buvait,
questionnait sur mon père.
Il hurlait, les yeux
absents, fixant le plat :
"J'ai donné la
moitié de ma vie pour toi, vipère,
Et toi, tu brûles la
tienne, espèce de Judas !
Faudrait te donner un
fusil ? T’envoyer à la guerre ?
Et tu bois avec moi,
sacré bon sang !"
J'étais comme à Koursk
dans la tranchée militaire,
Là où le capitaine était
adjudant.
Il buvait, s’enivrait. Je
le suivais sans peine.
Seulement, à la fin de la
discussion,
Je l'ai vexé, je lui ai
dit tout de go : "Capitaine,
Tu ne seras jamais
colonel, oh, ça, non !"
1966
* tableaux célèbres respectivement de
Chichkine et Vasnetsov.
** la plus importante bataille de chars de
l'Histoire.
23. JE REVIENDRAI
Les navires mouilleront
puis appareilleront
Mais ils nous reviendront
à travers le gros temps.
Je réapparaitrai quand
six mois s'écouleront.
Pour repartir bientôt
Pour repartir bientôt,
encore six mois.
Ils reviennent tous, bien
sûr, sauf les amis sincères,
Sauf les femmes fidèles,
sauf les femmes qu'on adore,
Ils reviennent tous, bien
sûr, sauf les plus nécessaires
Je ne crois pas au
destin,
Je ne crois pas au
destin, et, en moi, moins encore.
Mais j'ai envie de croire
qu'il n'en va pas ainsi,
Que brûler ses vaisseaux
sera vite démodé
Je reviendrai chargé de
rêves et d’amis.
Bien sûr, je chanterai,
Bien sûr, je chanterai,
six mois ne seront pas passés.
1966
Du verglas sur la terre,
du verglas.
Les douze mois, dans le
froid, les douze mois.
Il n’y aurait ni été, ni
printemps,
La terre revêtue d’un
enduit glissant.
Sur la glace, dérapant,
on s’abat.
Du verglas sur la terre,
du verglas.
Les douze mois, dans le
froid, les douze mois.
Si on survole la planète,
même dans ce cas,
Celui-ci, celui-là, peu
importe,
Sans toucher même le sol
s’abattra,
Du verglas sur la terre,
du verglas,
Et on le piétinera à
coups de bottes.
Du verglas sur la terre,
du verglas.
Les douze mois, dans le
froid, les douze mois.
Il n’y aurait ni été, ni
printemps,
La terre revêtue d’un
enduit glissant.
Sur la glace, dérapant,
on s’abat.
Du verglas sur la terre,
du verglas.
Les douze mois, dans le
froid, les douze mois.
Et bien qu’en surface, ce
soit le verglas,
Ça ne ressemble pas à une
immense patinoire.
Seul, le fauve sans
tomber se déplacera.
Le verglas ! Et le bipède
se relèvera
A quatre pattes aussi sur
ce miroir.
Du verglas sur la terre,
du verglas.
Les douze mois, dans le
froid, les douze mois.
Il n’y aurait ni été, ni
printemps,
La terre revêtue d’un
enduit glissant.
Sur la glace, dérapant,
on s’abat.
Du verglas sur la terre,
du verglas.
Les douze mois, dans le
froid, les douze mois...
1966
25. VERS LES CIMES
Chanson des films
"Explosion blanche" et "Le vent de l'espoir"
Enfin, mes mains ne
tremblent plus
Maintenant, le sommet !
Enfin, ma peur a disparu
A tout jamais,
De s'arrêter, il n'est de
raison,
J'avance, je glisse...
Car, dans le monde, il n'est
de mont
Que prendre, on ne
puisse.
Parmi les sentes
inexplorées,
Mon choix est clair !
Et des frontières à
transgresser,
J'en ai une, derrière !
Les noms de ceux qui sont
tombés
Les neiges les cèlent...
Parmi les voies non
empruntées,
La mienne, c'est elle.
De l'éclat bleuté des
glaciers
Le crêt s'est laqué.
Et la trace des pas est
gardée
Par le rocher.
Au-dessus des têtes, mes
rêves, je les
Regarde d'en-haut.
Je crois à la pureté
sacrée
Des neiges, des mots !
Et que passe l'eau sous
les ponts
Je n'oublierai pas
Que j'ai pu tuer mes
hésitations
Ici, en moi.
Ce jour-là, l'eau me
murmurait :
"Bonne chance, à vie
!"
Ce jour, quel jour alors
c'était ?
Oui ... mercredi.
1966
Chanson du film
"Guerre sous les toits"
Etait clair,
Le fracas du fer.
Sur notre terre en armes,
Un bruit sourd,
Ont le cœur lourd.
Fumée et cendres forment
comme des croix.
Plus de nids de cigognes
sur les toits.
Epis lourds, couleur
d'ambre,
A-t-on le temps ?
Non, on a semé, il semble
Pour du vent.
Le ciel rouge et or,
est-ce, dis,
Un mirage ?
C'est, au loin,
l'incendie
Qui fait rage.
Tous se sont enfuis par
monts et par vaux.
Plus d’oiseaux, plus de
chansons, que des corbeaux.
Les arbres couverts de
poussière :
L’automne déjà.
Ceux qui chantaient
naguère
Restent cois.
L'amour, pour nous à
présent,
Balivernes !
Ce qu'il nous faut plus
sûrement,
C'est la haine.
Fumée et cendres forment
comme des croix.
Plus de nids de cigognes
sur les toits.
La forêt pleine de vie,
Bruissements,
L'eau, la terre aussi,
Gémissements.
Et les miracles se font
Nécessaires :
Le bois gémit sa chanson
D'avant-guerre.
Du malheur, c'est l'exode
vers l'orient.
Plus d'oiseaux, plus de
cigognes sur nos champs.
L’air retient les bruits
Pareillement,
Saturé de cliquetis,
De grondements.
Le bruit sec des sabots
C’est un brouhaha,
Même si tu cries tes mots
On ne t’entend pas.
Les cigognes ne viendront
plus cette année.
1967
27. LETTRE A LA FOIRE
AGRICOLE
Lettre d'une femme à son
mari parti à l'exposition agricole
Bonjour Colas, mon chéri,
mon homme affectionné,
Je mets la main à la
plume pour te dire mon amour,
Tu vas rentrer affairé,
tout endimanché,
Au soviet, tu vas courir,
sans me dire bonjour.
A ton départ, je
pleurais, les voisines sont accourues
"Cette séparation,
qu'elles disent, elle ne supportera pas"
Je m'ennuyais tellement
de toi, qu'elles m'ont secourue,
Bien que des raisons de
m'occuper, ça ne manque pas.
Tiens, le Paulot, ton ami
fidèle, il est venu,
J'ai bien failli lui
céder, j'en tremble même encore
Ça fait trois jours, rends-toi compte, qu'il ne
dessaoule plus.
Avant de faire sa
demande, fallait qu'il se rende fort.
On dit que t'aurais reçu
une prime phénoménale.
Boris, notre taureau,
serait le champion.
Je suis un peu jalouse de
ce méchant animal,
Et, plus que lui, je
t'aime d'un amour profond.
Tu m'es apparu en rêve,
ivre, malade et morose.
Si tu as une idée en
tête, ne te torture pas.
J'étais avec l'agronome,
va pas croire des choses,
On a parlé toute une
heure et seulement de toi.
Moi encore, ça va, mais
toi, j'ai peur que tu n'ailles mal.
L'autre jour, une grosse
légume est venue en taxi.
"Il y a plein de
débauche, qu'il dit, dans la capitale
Même que les femmes,
il y en a plus que de gars", qu'il
dit.
Ecoute, Colas, ne bois
pas, attends d'être ici,
A la maison, prendre des
cuites, je te jure, tu pourras,
Et même l'agronome,
crois-moi, je n'ai pas besoin de lui,
Bien qu'il soit très
cultivé, tout le contraire de toi.
Il y a des trous dans le
toit de la grange et il pleut à torrents,
Sans toi, c'est au-dessus
de mes forces, avec toi, je suis bien,
Même si tu ne vaux pas
grand-chose, reviens vite, je t'attends,
Ecris-moi ce qu'on peut
trouver dans les magasins.
1967
28. LETTRE DE LA FOIRE
AGRICOLE
Pas la peine de parler
d'amour, je ne crois plus ta musique,
J'en ai jusque là, tu
sais, de tous tes refrains,
Ecoute donc plutôt, ici,
il y a du synthétique.
Si tu veux, je
t'achèterai quelque chose de bien.
Pour le moment, je n’ai
pas bu un seul verre de gnôle,
Je ne mange pas, même de
la soupe, l’argent, je le place
Parce que je veux
t'acheter une belle camisole,
Parce que je suis
amoureux de toi, ma bécasse !
Je suis allé au ballet
voir des moujiks toucher
Des gamines en chaussons
blancs, il y avait du choix.
Quand je t'écris, j'ai
les yeux qui n'arrêtent pas de pleurer.
Ne te laisse donc pas
séduire, ma papatte à moi.
Notre taureau
reproducteur est l'un des tout premiers.
Au début, ils ont hurlé
que c’était un déchet.
Après, ils se sont
repris. Le prix, ils l'ont donné.
Allongé, couvert de
médailles, il ressemble à un paquet.
Au président du kolkhoze,
dis-lui qu'il recouvre
Mon isba dès maintenant,
ou tout va moisir
Sinon, ses génisses à
lui, pas de danger que je les couvre
Avec mon beau recordman,
il peut toujours courir.
Qu'ils réparent bien
notre grange, que le blé ne se gâte,
Dis à Paulot que c’est un
traître quand il va se pointer.
Avec l'agronome, pas de
blagues, ou je te casse une patte
Mais avec le président,
tu peux te promener.
Au revoir, je vais au
GOUM pour faire les commissions.
C'est comme notre silo à
grain mais avec des fenêtres.
Je commence à en avoir
assez de tes vestes de saison
Et de ta robe bleue
brodée aux dentelles pas nettes.
Post-Scriptum
Il y a un Parc de la
Culture, là près de la rivière,
Je crache dans les urnes,
pas par terre, je sais me promener.
Bien sûr, tu ne peux pas
comprendre derrière ta cuisinière.
Tu es toi-même une
ignorance pas très cultivée.
1967
29. LA MAISON DE CRISTAL
à Marina
Si, tsar des mers,
j’étais riche demain,
Et que tu me
cries : « pêche-moi un poisson ! »
Mon monde marin, mon
monde sous-marin
Je le viderai sans
hésitation !
Sur la montagne, la
maison de cristal l’attend.
Moi, comme un chien, j’ai
grandi dans les fers.
Mes sources vives sont
fontaines d’argent,
Mes gisements, filons
aurifères !
Si tel un chien, j’étais
sans un liard,
Solitaire chez moi et
sans le sou,
Tu me secourras,
Seigneur, sans retard.
Tu ne voudras pas que ma
vie se dénoue.
Sur la montagne, la
maison de cristal l’attend.
Moi, comme un chien, j’ai
grandi dans les fers.
Mes sources vives sont
fontaines d’argent,
Mes gisements, filons
aurifères !
A personne au monde, je
ne peux te comparer
Quel que soit le supplice
que de tes vœux tu appelles.
Regarde, que j’aime à te
contempler
Comme une madone peinte
par Raphaël !
1967
30. ON ALLUME LES
CHANDELLES
On allume les chandelles
pour moi le soir
Et ton image en est toute
obscurcie.
Que le temps guérit, je
ne veux pas le savoir
Ni que tout passe et s'en
va avec lui.
Je n'échapperai pas au
repos désormais,
Tout ce que j'avais dans
l'âme, pour une année,
Sans le savoir, elle l'a
emporté.
D'abord au port, et dans
l'avion après.
On allume les chandelles
pour moi le soir
Et ton image en est toute
obscurcie.
Que le temps guérit, je
ne veux pas le savoir
Ni que tout passe et s'en
va avec lui.
Et dans mon âme, c'est le
désert complet.
Ce coeur en lambeaux ne
peut rien vous donner,
Sauf bouts de chansons et
toiles d'araignées,
Car tout le reste, elle
l'a emporté.
Et dans mon âme, les buts
n'ont plus de voies.
Creusez-la donc. Vous ne
trouverez ici
Que deux demi-phrases,
des dialogues à une voix
Et tout le reste, c'est
la France, c'est Paris.
On a beau tout allumer
chaque soir
Et ton image peut bien
être obscurcie.
Que le temps guérit, je
ne veux pas le savoir
Ni que tout passe et s'en
va avec lui.
1967
31.
OU EST-CE QUE J'ETAIS HIER ?
Où
est-ce que j'étais hier ? Pas moyen de me rappeler.
Je
me rappelle qu'il y avait, sur les murs, du papier.
Je
me souviens: il y avait Klavka et sa copine
Même
que je les embrassais toutes deux dans la cuisine.
Le
matin, au réveil, ils m'ont fait la leçon.
"Tu
as injurié, qu’ils disaient, la maîtresse de maison.
Tu
effrayais tout le monde, tu galopais à poil.
Tu
hurlais des chansons, et ton père qu’est général !"
Après
ça, paraît-il, j'ai arraché ma chemise,
Je
me frappais la poitrine, disant qu’ils m’avaient tous trahi.
Les
invités ne pouvaient pas se relaxer, d'après ce qu'ils disent.
J'embêtais
tous les gens avec mes accords et puis,
J'ai
arrêté de boire, quand j'étais fatigué, pas mal.
J'ai
explosé par terre tous les verres de cristal,
Versé
le vin sur les murs et le service à café,
Ouvrant
grand la fenêtre, en bas, je l’ai jeté.
Sans
pouvoir dire un mot, ils restaient médusés.
Peu
à peu, semble-t-il, ils ont pris de l'assurance.
Ils
me sont tombés dessus et puis m'ont ligoté
Et,
à la fin du compte, ils sont entrés dans la danse.
L’un
me crachait dessus, l’autre me versait de la vodka.
Un
danseur me flanquait des coups à l’estomac.
Quant
à la jeune veuve, fidèle à son serment,
Elle
a eu pitié de moi, on vit une fois seulement.
Tout
pâle dans la cuisine et la figure en sang,
Je
donnais l’impression de vouloir faire marche arrière.
"Délivrez-moi
!" que je criais “ bon, ça suffit maintenant !”
Ils
ont défait les nœuds, mais caché les couverts.
Ce
que j'ai fait alors, impossible à décrire.
D'où
m'est venue tant de force, je ne pourrais pas le dire.
Comme
le fauve blessé capable d’un exploit,
J'ai
cassé fenêtres et porte et le balcon me tombe des bras.
Où
est-ce que j'étais hier ? Ma mémoire est obscure.
Je
me souviens qu'il y avait du papier sur les murs.
Je
suis resté tout seul, la tête comme un ballon.
Où
donc aller maintenant, avec ces traces de gnons ?
Hélas
! Si j'en avais, ne serait-ce qu’un tiers encore.
Il
ne reste plus qu'à se coucher et attendre la mort.
Mais
c’est bien que la veuve ait pu tout supporter.
Elle
m'a plaint et, pour vivre avec elle, m'a emmené.
1967
32.
LES TEMPS NOUVEAUX
Chanson
du film "Guerre sous les toits"
Comme
un tocsin, les pas
Retentissent
lourdement
Au
fin fond de la nuit.
Ce
sera bientôt notre tour
De
partir et de prendre
Congé.
Piétinent
des sentiers
Inédits
Ignorant
vers quelle destinée
Ils
portent leurs cavaliers.
Notre
temps est violent
Mais
on cherche le bonheur
Comme
par le passé
Et
dans notre poursuite
On
fonce sur lui, qui fuit
Devant.
Nous
perdons nos meilleurs
Camarades
dans cette
Traversée
Au
galop, nous ne remarquons pas
Que
les amis sont absents.
Pendant
longtemps encore,
Nous
prendrons les bivouacs
Pour
des incendies
Pendant
longtemps encore,
Sinistre
nous paraîtra le bruit
Des
bottes.
Nos
fils continueront à jouer
A
la guerre comme jadis,
Pardi.
Et
longtemps, on classera les gens
En
ennemis ou en nôtres.
Quand
enfin cesseront
Le
bruit, les incendies,
Les
larmes versées,
Quand,
sous nous, nos chevaux
Seront
crevés
De
galoper,
Et
quand nos demoiselles
Pour
des chemisiers
Il
ne faudrait pas oublier,
Ne
rien lâcher, rien pardonner.
1967
33. TRENTE MINUTES AVANT L’ASSAUT
Trente minutes avant
l’assaut,
Sous les tanks à nouveau
A nouveau, des explosions
entendre le concert.
C’est alors qu’au jeune
guerrier
De chez lui, on a donné
Une petite enveloppe
bleue triangulaire.
On est comme loin d’ici
Quand la fiancée nous
écrit
Ou que nos père et mère
envoient une lettre…
Cette fois-ci, avant le
combat,
Le courrier, il ne
fallait pas
Se dépêcher au soldat de
le transmettre.
La lettre disait en
substance :
« Excuse-moi de mon
silence !
Je suis fatiguée
d’attendre… » et ça continuait
Post-scriptum, elle avait
écrit :
« Je m’en vais bien
loin d’ici,
Combats sans t’inquiéter,
pardonne-moi, s’il te plaît ! »
A la première explosion
Il cria d’indignation :
« Vaguemestre, que
m’as-tu apporté ?
Une minute avant le feu,
Dans une enveloppe toute
bleue,
Une blessure par balle,
c’est ce que tu m’as donné.
Il fit un pas hors du
trou,
Avec son FM sur le cou,
Des éclats d’obus, il ne
se souciait.
Et dans la bataille de
Soura,
Sur la terre, il
s’effondra.
Seul, le vent balaya de
sa lettre les feuillets.
1967
34. TROIE
Pendant longtemps, la
ville de Troie assiégée
Serait restée
inexpugnable, fortifiée.
Maintenant encore, Troie
pourrait même exister,
Si à Cassandre, tous les
Troyens s'étaient fiés.
Incessamment, cette
insensée, cette vestale
Annonçait : "Je
vois Troie tomber en poussière".
Mais les visionnaires,
les prophétesses, c’est égal,
A toute époque, on les a
brûlées comme sorcières.
La nuit quand des
entrailles du cheval de Troie,
La mort descendit et
déploya ses ailes toutes entières,
Dans cette foule affolée
et sans voix,
On a crié : " La
coupable, c'est la sorcière, ".
Incessamment, cette
insensée, cette vestale
Annonçait : "Je
vois Troie tomber en poussière".
Mais les visionnaires,
les prophétesses, c’est égal,
A toute époque, on les a
brûlées comme sorcières.
Et dans cette nuit, dans
ce tumulte, dans ce sang,
Se réalisa la prédiction
destructrice
Si bien que la foule n'a
pu trouver un moment
Pour exercer comme
d'habitude sa justice.
Incessamment, cette
insensée, cette vestale
Annonçait : "Je
vois Troie tomber en poussière".
Mais les visionnaires,
les prophétesses, c’est égal,
A toute époque, on les a
brûlées comme sorcières.
La fin est simple,
tragique et désolante :
Un Grec trouva la demeure
de Cassandre, son logis.
Il se mit à s’en servir,
non pas comme d’une Cassandre,
Mais comme le fait tout
vainqueur inassouvi !
Incessamment, cette
insensée, cette vestale
Annonçait : "Je
vois Troie tomber en poussière".
Mais les visionnaires,
les prophétesses, c’est égal,
A toute époque, on les a
brûlées comme sorcières.
1967
35. VARIATIONS SUR UN THEME TSIGANE
Des
feux jaunes dans mes songes,
Des
râles dans mon sommeil :
-
Oublie un peu ce qui te ronge
Mais,
au réveil, ça ne va pas,
Ce n’est pas l’allégresse :
Soit
qu’on fume à jeun ou soit
Une
fois, encore une fois, encore beaucoup, beaucoup, beaucoup
Beaucoup,
beaucoup de fois,
Encore
une fois,
Dans
les bouges, vertes bouteilles,
Blanches
serviettes de table.
Pour
les pauvres diables, c'est merveille,
J’y
suis un oiseau en cage.
Dans
l'église, nuit et relent.
Non, à l’église, ce n’est pas ça,
Les
diacres fument de l’encens.
Ça
ne va pas du tout comme ça.
Une
fois, encore une fois, encore beaucoup, beaucoup, beaucoup
Beaucoup,
beaucoup de fois
Encore
une fois
Ça
ne va pas du tout comme ça
Je
grimpe la montagne, à toute vitesse,
Pour
éviter le danger.
Tout
au sommet, un aulne se dresse,
Tout
en bas un cerisier.
Si
la pente était couverte de lierre,
Ça
me serait une joie !
Ou
d’autre chose, de toute manière,
Ça
ne va pas du tout comme ça.
Une
fois, encore une fois, encore beaucoup, beaucoup, beaucoup
Beaucoup,
beaucoup de fois
Encore
une fois
Ça
ne va pas du tout comme ça.
Alors
j’erre par les champs,
Le
long des rivières.
Clair-obscur
et Dieu absent,
Des
bleuets jonchent la terre.
Le
bois touffu au bord du chemin,
Les
sorcières qui s’y cachent.
Et
au bout de ce chemin,
Le
billot et les haches.
Quelque
part contre leur gré
Des
chevaux piaffent une danse.
ça ne va
pas mieux dans les sentiers,
Et
au bout pas d'espérance.
Non,
les gars, rien n'est sacré,
Ni
l'église, ni le café.
Non,
les gars, ça ne va pas
Ça
ne va pas du tout, les gars !
Une
fois, encore une fois, encore beaucoup, beaucoup, beaucoup
Beaucoup,
beaucoup de fois
Encore
une fois
Ça
ne va pas du tout, les gars !
1967
36. AUTREFOIS
Chanson du film :
"le danger des tournées d'artistes"
Autrefois, je l'aimais,
je souffrais,
Autrefois, c’était elle
mes pensées,
Dans mes rêves en secret,
c'était elle,
L'amazone sur un cheval
isabelle.
Que m'importait la
sagesse des vieux écrits
Quand l’empreinte de ses
pas j’aurais pu la baiser…
Qu'aviez-vous donc, reine
de mes utopies ?
Mais où êtes-vous, mon
bonheur immaculé ?
Dans le printemps,
baignaient nos deux âmes.
Nous avions nos deux
têtes en flammes,
La tristesse, la douleur
sont passés,
Et l'ennui n'avait plus
droit de cité.
Prépare-lui un linceul
maintenant.
Je ris dans mes larmes,
je pleure sans raison, pour rien
De froid éternel, de gel
coagula notre sang,
Par peur de vivre,
pressentiment de la fin.
J'ai compris, c'est fini,
les beaux songes.
Les jours filaient,
tressés de mensonges,
J'ai compris, c'est fini,
les chansons,
Tout était mirage et
illusions…
Je brûle les restes de
nos atours festifs
Je brise mes cordes, me
libérant du maléfice,
Je ne serai pas de
l’espoir limpide le captif
Je ne plierai plus devant
les idoles de l’artifice.
1968
37. LA CHASSE AUX LOUPS
Toutes forces dehors,
muscles, tendons, je fuis la chasse.
Tout comme hier, encore
aujourd'hui.
Je suis cerné. Ils
traquent, ils pourchassent,
Au numéro d’un air
réjoui !
Derrière les pins, les
fusils tirent au but.
Dans l’ombre, les
chasseurs patientent.
Sur la neige, les loups
font la culbute.
Transformés alors en
cibles vivantes.
La louveterie se
poursuit. Aux loups on fait la chasse !
La chasse aux mâles gris,
aux femelles, aux petits.
La meute hurle à vomir,
les rabatteurs sont en place.
Sang sur la neige et
taches des fanions cramoisis.
Les chasseurs ne jouent
pas à égalité,
Avec les loups, leur main
ne tremble pas.
Des drapeaux limitent
notre liberté.
Ils frappent, sûrs d'eux,
ne se trompent pas.
Le loup ne peut transgresser
les traditions.
Nous avons bu, aveugles
louveteaux,
Avec le lait, lorsque
nous le tétions,
L’interdiction de
franchir les drapeaux.
La louveterie se
poursuit. Aux loups on fait la chasse !
La chasse aux mâles gris,
aux femelles, aux petits.
La meute hurle à vomir,
les rabatteurs sont en place.
Sang sur la neige et
taches des fanions cramoisis.
Nous sommes rapides des
pattes et des mâchoires,
Réponds-nous, chef de
horde, réponds, dis,
Aux abois, nous courons à
l’abattoir
Pourquoi ne pas traverser
l'interdit ?
Le loup ne peut pas, ne
doit pas l’éviter
Et mon heure est venue,
c'est ainsi.
Celui à qui je suis
prédestiné,
Sourit joyeux et lève son
fusil.
La louveterie se
poursuit. Aux loups on fait la chasse !
La chasse aux mâles gris,
aux femelles, aux petits.
La meute hurle à vomir,
les rabatteurs sont en place.
Sang sur la neige et
taches des fanions cramoisis.
Hors des drapeaux, je me
suis évadé,
Par erreur. J'avais envie
de vie !
Derrière moi, j'ai
entendu, soulagé,
Les chasseurs qui
criaient, tout surpris.
Toutes forces dehors,
muscles, tendons, je fuis la chasse.
Ce n’est pas comme hier,
aujourd'hui.
Je suis cerné. Ils
traquent, ils pourchassent.
Les chasseurs seront
bredouilles cette fois-ci !
La louveterie se
poursuit. Aux loups on fait la chasse !
La chasse aux mâles gris,
aux femelles, aux petits.
La meute hurle à vomir,
les rabatteurs sont en place.
Sang sur la neige et
taches des fanions cramoisis.
1968
38. GYMNASTIQUE MATINALE
On inspire bien, on
écarte
Les bras, doucement trois
et quatre !
Esprit vif, grâce et
esthétique.
Le matin, ça revigore,
La gueule de bois, ça te
la sort,
Bien sûr, si tu vis
encore,
La gym-nas-tique !
Sur le sol de votre
appart'
Allongez-vous, trois et
quatre !
Respectez parfaitement
les positions.
Loin de vous les
tentations,
Faites-vous donc aux
novations,
Hop, jusqu'à ce que nous
tombions
D'ina-ni-tion.
Dans le monde, il se
carapate,
Le virus de la grippe,
trois et quatre !
Toutes les maladies
prennent de l'extension.
Chétif, tu sens déjà le
sapin.
Pour garder la forme, eh
bien,
Il faut se faire avec
entrain
Une bonne fric-tion
Si vous êtes déjà fatigué
De faire des flexions
sans arrêt,
Vous n'aurez plus peur de
l'Arctique ni de l'Antarctique !
L'académicien Ioffé
Est formel: cognac et
café
Il faut les troquer
contre les bienfaits
Des sports phy-siques.
Pas de discussions
possibles,
Flexion, gardez
l'équilibre.
Bah, ne soyez pas aigri,
mal dans votre peau !
Vous ne pouvez pas garder
l’oeil fixe,
Frictionnez-vous, et on
mixe
Les procédures
aquatiques, ce
Qui dit "eau".
Les folles nouvelles
laissent de glace.
En réponse, on court sur
place.
N'importe qui peut gagner
dans cette ronde.
Merveilleux, car les
coureurs
Arriveront tous à
l'heure.
La course sur place a le
bonheur
D'unir tout le monde.
1968
39. L'ISBA
à Marina
Dans l'isba, se mettre à
chanter
Dans le gel des choses,
Ou se prendre à décéder
De tuberculose.
Une chanson sans parole,
Air de guitare en prime,
Ou le traîneau à vitesse
folle
Foncer vers l’abîme !
Le malheur, la douleur,
Les cartes sans atout
coeur,
Etre voleur de bonheur,
Succomber aux passions de
l’heure.
Nulle part, toute une
vie,
Eternel désir ardent.
Soit, du ciel, la pluie
Ou le dégel du printemps.
Un chant aux paroles
absentes
Et même sans idée.
Je construis un poêle en
faïence
Ou bien je vais semer...
Que d’années sans gaîté,
Des feux rouges à
l’horizon.
Un couplet inachevé
Bouquet fané... déraison.
Contre tout, de rage
blême,
Dans les pognes une
étoile.
Sans réclame, sans
emblème,
Tout lourdaud dans des
bottes de toile.
Quelqu’un pourrait me
rattraper
Et flairer mon parfum...
Se reposer un peu, se
reposer,
Une étoile dans la main.
Loin de toi, et sans toi,
Ah, je n'ai plus rien à
moi
Qu’une demeure sans joie,
Et le passé même, il est
à toi, fichtre là…
1968
40. JE CROIS A L'AMITIE
Voilà séparés, soudain,
L’un va vers le nord,
l’autre vers l’ouest part.
Je suis triste quand s’en
va un copain,
Sans crier gare, sans
crier gare.
Parti, c’est une perte
médiocre
Pour beaucoup, c’est
vrai.
Je ne sais pas pour les
autres,
Moi, je crois, je crois à
l'amitié.
Il est venu le temps des
insuccès.
Les traces dans l’âme, la
tempête les détruit.
Tout tombe des mains, tu
as beau pleurer,
Plus d'ami, plus d'ami.
Parti, c’est une perte
médiocre
Pour beaucoup, c’est
vrai.
Je ne sais pas pour les
autres,
Moi, je crois, je crois à
l'amitié.
Et quand l’ami va
revenir,
En disant : "La
querelle était erronée",
Nous regarderons, avec le
sourire,
Le passé, le passé.
Parti, c’est une perte
médiocre
Pour beaucoup, c’est
vrai.
Je ne sais pas pour les
autres,
Moi, je crois, je crois à
l'amitié.
1968
41. JE N'AIME PAS
Je n'aime pas les
solutions fatales,
Je ne serai jamais
fatigué de la vie.
Quand je ne fais que
chanter l'ennui.
Et l'enthousiasme, je n'y
crois pas non plus,
Je n'aime pas qu'on lise
mon courrier,
Par-dessus l’épaule,
surtout les inconnus.
Je n'aime pas qu'on parle
à demi-mot,
Ni qu'on coupe court à
tout raisonnement.
Je n'aime pas quand on
tire dans le dos,
Je suis également contre
les tirs à bout portant !
J'ai en horreur les
versions, les cancans,
L’aiguillon des honneurs,
du doute les vers,
Quand on te prend à
rebrousse-poil tout le temps,
Je n'aime pas l'acier
contre le verre.
Je n'aime pas les gens
bardés de certitudes,
Il vaudrait mieux que
leurs freins ne répondent pas,
Le mot
"honneur" tombé en désuétude
Et à sa place tant de
galimatias.
Et quand, parfois, je
vois des ailes brisées,
J’ai mes raisons si je
n’éprouve pas de pitié :
Je n'aime ni la violence,
ni la fragilité.
C'est bien dommage pour
le Christ crucifié.
Je n'aime pas éprouver de
la frayeur,
Et je ne supporte pas
qu'on frappe un innocent.
Je n'aime pas qu'on
pénètre dans mon cœur
Et encore moins qu'on y
crache dedans.
Je n'aime pas les courses,
ni les parieurs
Qui vous échangent un
million pour un sou.
Même si on promet des
lendemains chanteurs,
Tout ça, je ne l'aimerai
jamais, un point, c'est tout.
1968
42. ON N'EST PAS AU SOIR
Notre corsaire se
risquait sur mer depuis quatre ans,
Dans les combats, il n'a
pas pâli, notre drapeau,
On a appris à refaire les
gréements,
A boucher de nos corps
les voies d'eau.
L'escadre au grand
complet nous talonne sévèrement.
Mer étale. L'éviter
serait illusoire.
Le capitaine nous dit
tranquillement :
"On n'est pas au
soir, pas encore au soir".
La frégate-amiral, bord
sur bord, a viré
Et son bâbord se teinte
de panaches de fumée.
Une salve en retour,
tirée au jugé.
Incendie et mort ! La
chance est de notre côté !
On s'est déjà sorti de
situations pareilles.
Il y a de l'eau dans les
cales, un coup de chien se prépare,
Le capitaine envoie le
signe habituel.
On n'est pas au soir, pas
encore au soir.
Ils nous voient
menaçants, dans la fumée, tout gris,
Là-bas, à la lunette
d’approche, ils nous considèrent.
Ils ne nous verront
jamais de la vie
Enferrés aux rames de
leurs galères.
La lutte est inégale,
notre navire naufrage.
Sauvez nos âmes humaines
sans retard !
Mais le capitaine crie :
"A l'abordage!
On n'est pas au soir, pas
encore au soir."
Si tu n’es pas lâche, si
tu es gai, si tu veux vivre,
Alors au corps à corps,
tu peux te préparer !
Que les rats quittent le
navire,
Ils empêchent un abordage
aisé.
Ils pensaient: qu’est-ce
que le Diable a inventé encore ?
Et sautaient, fuyant la
mitraille, nos pétoires.
Nous étions avec la
frégate bord à bord.
On n'est pas au soir, pas
encore au soir.
Tous face à face,
couteaux tirés, en main une arme
Et pour ne pas nourrir
les crabes et les berniques
Avec un colt, ou un
poignard, ou en larmes
On a fui le bateau qui coulait
à pic.
Le capitaine a dit :
"L'océan le portera,
Sur ses épaules, jamais,
ils ne le couleront.
Il est avec nous, l’océan
nous aidera
On n'est pas au
soir". Il avait raison.
1968
43. CHANSON DE LA TERRE
Chanson du film "Nos
fils vont au combat"
Qui a dit : "Tout
est réduit en cendre,
Ne jetez plus en terre
votre blé !"
La terre serait morte, à
les entendre.
Non, pour un temps, elle
s'est cachée.
Comment lui ôter sa
maternité ?
C’est comme vouloir
assécher la mer.
Qui a cru qu'on l'avait
incendiée ?
Non, elle a noirci de
toutes ses misères.
En entailles, les
tranchées s'étiraient.
Comme des plaies, les
trous d'obus béants.
Et la terre, les nerfs à
vif, connaît
Des souffrances
inhumaines, des tourments.
Elle supportera tout,
attendra.
Et ne va pas croire
qu'elle est handicapée.
Qui a dit que la terre ne
chantait pas,
Qu'elle était silencieuse
à jamais ?
Elle bruisse, ses
plaintes étouffées,
De ses pores et de tous
ses traumas.
C'est notre âme, la
terre, vous le savez,
Sous les bottes, une âme
ne s'écrase pas.
Qui a dit que la terre
était morte
Non, pour un temps, elle
s'est cachée.
1969
44.
LES COURSES A MOSCOU
Parmi
tous les moujiks, c'est bien moi qui bois le moins
Parce
que j'ai de la force morale, de la volonté
Si
bien que ma famille, à la majorité,
M'ayant
refilé une liste longue de huit pages au moins
Pour
faire les commissions, à Moscou, m'a lancé.
Que
je rapporte à ma belle-fille
Et
son mari des guenilles*,
Au
frangin et à sa femme du café soluble, mais aussi
A
mes deux brus un tapis,
Au
beau-frère du caviar gris,
Je
suis blessé, je suis stressé, j’ai sacrément peur
D’oublier
quoi pour qui rapporter. Pour être sûr,
La
liste de commissions, je l’ai apprise par cœur
Et
l’argent, je l’ai cousu, tiens, dans ma doublure.
Bon,
au frangin, des guenilles,*
Et
du parfum si possible.
Mon
gendre m'a dit : "tu n’as qu'à prendre ce que tu trouveras"
A
mes deux brus un tapis,
Au
beau-frère un lapin gris**
Et
puis, qu'il aille se faire lanlaire, il attendra.
Je
me cogne à des dos, je marche sur des pieds,
La
poitrine en avant contre des impers, des chemisiers ***
Et
pour que l'ennemi ne puisse pas me la voler,
Ma
liste de commissions, sans crainte , je l'ai mangée.
Je
me rappelle : une veste au frangin,
Mon
pote, sa femme - tout ou rien.
Mon
gendre, une bouteille de vodka du Kouban,
A
mes deux brus, un tapis,
Au
beau-frère un terrier gris, ****
Pour
ma sœur, n'importe quoi, mais que ça soit élégant.
J'ai
fini par trouver où il y a des marchandises.
Enfin,
je ne vais pas revenir les mains vides. Y'a de l'espoir.
Il
y en a un qui m'a dit : "Vous payez en devises ?"
"Ne
t’'inquiète pas, je lui ai dit, ce n'est pas des dollars."
Donne-moi,
que je lui dis, du tabac soluble,
Le
beauf crèvera sans caviar en tube.
S’il
y a, donne-moi du parfum pour gueule de
bois,
Aux
deux brus n’importe quoi,
A
leur mari du jaja
Et,
pour moi, ce machin jaune dans l'assiette-là.
Je
ne me souviens plus de livres, de leur sterling, bon sang.
Par
cette énigme, je suis battu à plate couture.
Ah,
c'était bien la peine d'aller verser mon sang !
A
quoi ça sert de manger les pages de commissions ?
A
quoi ça sert les roubles cousus dans la doublure ?
Où
vais-je trouver les pelures ?*
Au
beauf du café en fourrure ?
Au
pote, que dalle. Quant au gendre pour
sa bière, bernique.
Prendre
du cognac en tube, *****
Et
une belle-fille soluble,
Quant
au frangin, ben, il se saoulera à l'alambic.
1969
Littéralement :
* des pelisses (manteaux de femme)
** du caviar de lièvre
*** des chemises
**** un terrier de lièvre
***** en duvet
à
Anatoli Garagoule
C'est
la tempête. Les filins râpent les mains.
La
chaîne de l'ancre siffle comme une sorcière.
Le
vent nous chante son sale chant et soudain
Une
voix s'écrie : "Un homme à la mer !"
Immédiatement:
"Arrière toute ! Stoppez tout !
Sauvez-le
vite, il faut le réchauffez!
Pour
un homme, versez-lui un coup !
Sinon,
alors, frictionnez !"
Comme
je déplore de devoir aller à pied
Sur
la terre ferme. J’attendrai de l’aide sans cesse.
Personne
ne s’empressera de me sauver.
Personne
ne donnera le signal de détresse.
Mais
ils diront : "Vent en poupe ! En avant !
Nous
serons au port selon l'horaire.
Quant
à ce fils de chien, eh bien, bon vent !
Qu’il
s’en sorte seul, c’est son affaire! "
Et
mon navire s'éloignera de moi.
Les
gens à bord devraient être des gars de première,
La
vigie regarde devant elle, tout droit.
Elle
se moque bien qu'un homme tombe à la mer.
Et
les bateaux passeront en trombe,
Sans
me voir, attendus au port.
Ils
s’en fichent bien que quelqu'un tombe
De
la bonne route, par-dessus bord.
Que
la mer m’emporte dans ses eaux,
Là-bas
souffle un vent de force neuf décuplée,
Le
capitaine me lancera un canot
Et
je retrouverai le sol ferme sous mes pieds.
Ils
m’attraperont par le vêtement.
Tomber
habillé serait donc un bien.
Comme
à l’espoir, je m’accrocherai vraiment
D’une
étreinte de mort aux marins.
A
quelques nœuds, La Havane, dans un mois.
Je
peux cracher de la proue vers l'arrière.
Mais,
le capitaine, je veux le voir, moi,
C'est
lui qui m'a rendu la terre.
C’est
vrai, de roulis, ils sont saturés,
De
quart sans relâche par gros temps.
Mais,
ici, ils ne laisseront pas se noyer
Un
homme à la mer, c’est évident .
Je
suis à bord, on remet le cap sur l’ancienne route.
On
me tend les mains, les cœurs, de quoi fumer.
Et
si quelque chose survient, je n’ai pas de doute :
Les
marins me lanceront vite une bouée.
Au
diable l’iceberg, en avant, toute !
Je
suis maintenant des vôtres, matelots !
Moi,
le fils de chien, avec ses doutes
Eh
bien, découpe- moi en morceaux !
Quand on aura oublié toutes les pertes à la ronde,
Quand
le piège se refermera sur le vide,
Le
meilleur capitaine de ce monde
Ouvrira
la trappe et je retrouverai la rive.
Je
tiendrai là-bas un discours haut et clair,
J’apprendrai
à ceux qui veulent
Comment,
ici, un homme à la mer
On
ne le laisse pas tout seul
1969
46. IL N’EST PAS REVENU
Chanson du film
« Nos fils retournent au combat »
Rien n'a vraiment changé,
mais tout est différent !
Le ciel est toujours bleu
comme autrefois,
Il n'est pas revenu du
combat.
Qui de nous avait raison,
je l'ignore maintenant,
Dans nos nuits sans
sommeil, dans nos débats.
Il commence seulement à
me manquer maintenant
Qu'il n'est pas revenu du
combat.
Il discutait toujours à
tort et à travers,
Chantait à contre-temps,
ne se taisait pas.
Il m'empêchait de dormir,
se levait tôt, mais, hier,
Il n'est pas revenu du
combat
Que ce soit le vide
maintenant, ce n’est pas là l’important.
Mais je vois qu'on était
deux et puis, voilà,
C'est comme si un coup de
vent avait éteint le feu de camp
Quand il n'est pas revenu
du combat.
Le printemps a surgi
comme évadé de prison.
Par erreur, je l'ai
interpellé, comme ça :
"Ne jette pas ton
mégot !" C'est le silence qui me répond,
Il n'est pas revenu du
combat.
Nos morts sont présents
telles les sentinelles
De nos destins: ils
veillent sur eux.
Dans la forêt comme dans
l'eau se reflète le ciel
Et les arbres, et les
arbres deviennent bleus.
On avait de la place pour
deux dans notre abri,
Et le temps s'écoulait
pour deux comme ça.
Je suis seul, il me
semble que c'est moi, aujourd'hui,
Qui ne suis pas revenu du
combat.
1969
47. METEMPSYCOSE
Il y en a qui croient en
Mahomet, en Jésus ou en Allah,
Ou bien en rien, pas même
au diable, pour embêter les gens.
Mais les Hindous, oui,
pour le coup, en ont fait une comme ça !
Une religion où, quand tu
es mort, tu ne meurs pas complètement.
Ton âme s’élevait vers
des sommets,
Tu revivras tes
illusions.
Mais, c’est en porc que
tu vivais,
Tu resteras le même
cochon.
Si on te regarde de
travers, habitue-toi aux avanies,
Sinon, tu reviendrais au
monde avec bien plus d'aigreur,
Et si, dans cette vie, tu
vois la mort de ton ennemi,
Il te sera donné un
regard plus sûr et meilleur.
Vis ta vie normalement,
Il y a prétexte à être
gai,
C'est peut-être dans un
président
Que ton âme ira se loger.
Si aujourd'hui tu es
concierge, tu seras du chantier le nabab,
Et à partir de là,
persévère, ministre tu deviendras.
Mais si tu es bête comme
une bûche, tu deviendras baobab,
Et mille ans jusqu'à ta
mort baobab tu resteras.
Etre perroquet, c’est
affligeant,
Ou devenir vipère
cacochyme,
Ne vaut-il pas mieux, sa
vie durant,
Rester un homme qu'on
estime ?
Mais qui est qui ? Qui ai-je
été ? On ne le sait pas du tout.
La génétique en perd la
boule avec les chromosomes.
Peut-être que ce gentil
bambin était un brave toutou.
Peut-être que ce chat
pelé a été un vaurien d’homme.
Je saute à pieds joints
d’émotion,
Je passerai toutes les épreuves
d’un coup.
C'est une bien chouette
religion
Qu'ont inventée là les
Hindous.
1969
48. LES
RUMEURS
Que de rumeurs à nos
oreilles étonnées
Que de ragots comme des
mites qui s'envolent
Et les bruits courent :
"Tout va bientôt augmenter,
Absolument,
Et notamment les
pantalons et l'alcool"
Comme des mouches
éparpillés,
Les bruits pénètrent sous
les toits
Les vieilles, les
vieilles édentées
Les insinuent vers toi.
-Ecoute ? Tu as entendu ?
Sous terre il y a une ville
A ce qu'il paraît, en cas
de guerre atomique."
-Vous avez entendu: on
fermera (et c'est bientôt, paraît-il),
Tous en même temps,
De source sûre, on m'a
dit, les bains publics".
"Vous ne le saviez
pas ? Mamychkino est chassé,
Question débauche et
ivrognerie, et caetera."
"Mais votre voisin,
le pauvre, il est arrêté,
A ce qu'on m'a dit,
Parce qu'il ressemblait à
Béria" .
"Hier, en creusant
une tranchée, des maçons
Ont trouvé deux sources
de cognac, et du bon."
"Il y a des espions
qui ont semé partout du poison,
Sur toute la terre,
Maintenant, on fait du
pain aux écailles de poisson".
"Ecoutez-moi, tout
va changer, à ce qu'on dit,
On a même changé le Grand
Défilé Militaire."
"On m'a raconté que
tout va être interdit,
Doux Jésus !
Et bientôt, que Diable,
ils vont interdire de tout faire".
Ils se renforcent un peu
partout, tous les bruits,
Des bruits grossis,
illimités, au galop.
Des ragots courent qu'on
supprimera tous les bruits.
Des bruits courent qu'ils
vont interdire les ragots.
1969
49. LES SOLDATS DE PLOMB
A mon fils Arcady
Il y aura mathématiques
et poésie,
Honneurs, dettes et
combat hasardeux,
Les petits soldats de
plomb aujourd'hui
Sur une vieille carte
vont deux par deux.
Il aurait mieux valu les
faire cantonner !
Seulement, à la guerre comme à la guerre,
Il en tombe, des guerriers
des deux armées,
Autant de chaque côté de
la frontière.
Diable, diable, quelle
stratégie jamais vue !
Quelle belle tactique !
Quel plan d'action !
La Norvège, pourtant
neutre, s'est rendue
A des foules d'Egyptiens
de plomb.
Par son aile gauche, la
Scandinavie
A perdu son prestige
illico,
Par contre son aile
droite a rétabli
Immédiatement le statu
quo.
Y a-t-il eu lacunes dans
l’éducation
Ou une instruction un peu
précaire ?
Mais il n’y a aucune de
ses coalitions
Qui puisse vaincre, en
campagne militaire.
Quoi que les armées
s’ingénient à faire,
Contre-attaques ou
percées en avant,
Il y a toujours dans
chaque hémisphère
La même quantité de
combattants.
Où êtes-vous, génies
insoucieux ?
N'avez-vous pas loisir
d'être présents ?
Et vous, perdants de
batailles malchanceux,
Qui ne ressentez pas les
tourments ?
Vous qui portez en
couronne les victoires,
Les combats, les
gagnants, les battus,
Où êtes-vous, semblables
à César,
Qui est venu, a vu, a
vaincu ?
Les problèmes de
conscience se font légion.
Comment choisir et ne pas
se tromper ?
Ici et là, il y a des
soldats de plomb.
Comment décider qui va
gagner ?
Mon petit général est de
mauvaise humeur,
D'un trop lourd fardeau
est accablé,
Tout frais promu officier
supérieur,
Mon Napoléon de six
années.
Pour que ses tourments ne
persistent pas
Ainsi les doutes seront
balayés !
J'ai peint en bleu la
moitié des soldats.
Au matin, les bleus sont
allongés.
De pareils succès me
réjouissent, mais
Une pensée me taraude et
m'exaspère :
Comment a-t-il décidé que
seraient
Victimes les bleus, et
pas le contraire ?
1969
50. LE SOMMET
Chanson du film
"Verticale".
Ce n’est pas la plaine,
le climat est tout autre :
Les coulées de neige
glissent l’une après l’autre.
Après l’éboulement, ici,
l’éboulement va hurler.
Le précipice, on peut le
contourner.
Mais nous choisissons le
chemin escarpé,
Dangereux comme l’est le
sentier de l’armée.
Qui n'est pas venu, qui
n'a pas risqué
Ne sait pas ce qu'il
vaut, ne s'est pas testé,
Même si, en bas, il
décrochait les étoiles des cieux.
En bas, tu n’auras pas,
que tu vives une vie
De bonheur complet, la
dixième partie
Des féeries et des
beautés de ces lieux.
Ni roses écarlates, ni
rubans d’enterrement.
Il ne ressemble pas à un
monument,
Ce rocher qui vient à
l’instant de t’offrir
Le repos éternel. Elle
brille dès l'aube,
En flamme du souvenir, la
glace émeraude
Du pic que tu n'as pas su
conquérir.
On aura beau dire, oui,
on a beau dire,
Personne ne meurt pour
rien, et c’est pire
De s’en aller d’un coup
de froid ou de vodka.
Et d'autres viendront,
troquant leur confort
Contre le risque et
l’incroyable effort
Pour aller au terme de la
route que tu leur frayas.
Des parois à pic, pas
question de bâiller !
Ici, sur la chance, il ne
faut pas compter.
Dans les montagnes, rien
n'est sûr, ni la pierre, ni le roc, ni la glace.
On ne place d’espoir que
dans la force de ses mains,
Le piton dans la faille,
la main du copain,
Et l'on prie le ciel que
la corde de rappel ne se casse.
Nous creusons des
marches. Il faut avancer !
De tension, les genoux se
mettent à trembler,
Vers la cime, hors de ta
poitrine, ton cœur est prêt à bondir.
Le monde au creux de la
main. Tu te tais, heureux !
Tu envies seulement un
petit peu ceux
Pour qui ce sommet devant
est encore à gravir.
1969
51. TU PEUX DIRE MERCI,
TU ES ENCORE VIVANT
Tu penses, avec ta femme
ce n'est pas gagné.
Tu penses, la tête, ce
n'est pas important.
Tu penses, on t’a
dévalisé dans l’entrée.
Tu peux dire merci, tu es
encore vivant.
Même si tu as tes tumeurs
qui se réveillent,
Même si on t'a chassé de
l'appartement,
Même si tu es trop porté
sur la bouteille,
Tu peux dire merci, tu es
encore vivant.
Tant pis si, au poker, tu
as pris une veste,
Tant pis, au
« Sofia », on t’a brisé deux dents,
Tant pis si, en rêve, les
lares t’apparaissent
Tu peux dire merci, tu es
encore vivant.
D'accord, tu t'es
retrouvé dans la poussière,
D'accord, tu as reçu des
coups de pied dans les dents,
D'accord, on t'a porté
sur une civière,
Tu peux dire merci, tu es
encore vivant.
Pas grave que tu ne joues
pas du violon,
Pas grave que tu sois
frêle, mal portant,
Pas grave que, par
erreur, on t’ait donné des gnons,
Tu peux dire merci, tu es
encore vivant.
Oui, c’est vrai, celui
qui veut, il peut, c'est juste.
Eh oui, c’est vrai, c’est
de ma faute, Dieu tout puissant !
Oui, c’est vrai, mais une
question me tarabuste :
A qui dois-je dire merci
d'être encore vivant ?
1969
52.
LE ZERO SEPT
à Lioudmila Orlova
Cette
nuit, pour moi, est hors-la-loi.
Je
rédige, la nuit, j'ai plus de sujet.
Sur
le cadran du téléphone, moi,
Je
compose l'éternel zéro sept.
Mademoiselle,
s'il vous plaît, votre nom ? Tamara.
Chambre
soixante-douze ! Je ne respire plus, je reste là.
Ce
n'est pas possible, insistez, je suis sûr qu'ils sont là !
Ah,
enfin, on répond. Allo, bonsoir, c'est moi.
Cette
nuit, pour moi, est hors-la-loi.
Je
vous en prie, plus vite, je ne dors plus.
On
me propose en jetons, à crédit et pourquoi
Tous
les gens que je chéris le plus ?
Mademoiselle,
écoutez, chambre soixante-douze, eh bien,
Je
ne peux patienter, ma montre a du retard.
Au
diable, toutes les lignes, je m'envole demain !
Ah,
enfin, on répond. Allo, bonsoir, c'est moi.
Le
téléphone est pour moi une icône.
Le
bottin un triptyque, fatalement.
La
demoiselle des postes est une madone
Qui
réduit les distances sur-le-champ.
Mademoiselle,
s'il vous plaît, je vous en prie, prolongez.
Vous
êtes maintenant un ange. De l'autel, ne descendez pas !
Le
plus important est à venir, vous comprenez.
Ah,
enfin, on répond. Allo, bonsoir, c'est moi.
Quoi
? Le réseau est en dérangement, encore !
Quoi
? Bobines et relais font des espiègleries ?
Je
m'en fiche, j'attendrai, je suis d'accord
Pour
repartir à zéro toutes les nuits !
Zéro
sept, s'il vous plaît ! Que dites-vous ? Encore moi ?
Non,
je n'en ai plus besoin. C'est Magadan que je veux.
Je
ne vous promets pas que je ne vous rappellerai pas.
Un
ami à moi, juste savoir comment il va, le pauvre vieux.
Cette
nuit, pour moi, est hors-la-loi.
Mes
nuits ne sont pas faites pour le sommeil,
Je
m'assoupis. En rêve, c'est une madone que je vois
A
laquelle ressemble la demoiselle.
Mademoiselle,
s'il vous plaît ! Encore moi. Qu'est-ce qu'il y a ?
Je
ne pourrai pas attendre. Je ne respire plus, je reste là !
Oui,
moi, bien sûr, c'est moi, bien entendu, chez moi.
-
Vous êtes en ligne, à vous – Allo, bonsoir, c'est moi.
1969
53.
L'AMBLEUR
Je
galope, mais d'une autre manière,
Sur
les pierres, les flaques et la rosée,
Je
vais l'amble, une allure qui diffère,
Qui
n’est pas celle de tous les cavaliers.
Moi,
le mien, toujours assis sur moi,
Me
laboure avec ses étriers.
Pour
courir dans le troupeau, ça me va,
Mais
sans selle et sans être bridé.
Si
le poignard, au fourreau, est resté,
Il
est moins dangereux qu’une aiguille.
Mais,
voilà, je suis sellé et bridé
Le
mors me met la bouche en charpie.
J'ai
reçu des blessures sur le dos,
J'ai
les flancs qui se mettent à trémuler.
Je
suis d'accord pour courir dans le troupeau
Mais
sans selle et sans être bridé.
Aujourd'hui,
il me faudra lutter.
C'est
la course. Je suis le favori.
Tout
le monde mise sur l'ambleur, je le sais.
Mon
jockey, sur mon dos, se récrie.
Il
m'enfonce ses éperons dans les côtes.
Les
premiers rangs se mettent à ricaner.
Je
veux bien courir avec les autres,
Mais
sans selle et sans être bridé.
Les
yearlings n'arrêtent pas de piaffer
Et,
cachant leur jalousie farouche,
Frénétiques,
furieux et déchaînés,
Comme
moi, ont l'écume à la bouche.
Mon
jockey est connu pour courir
Comme
champion et il est très coté.
Ah,
je voudrais, dans le troupeau, courir
Mais
sans selle et sans être bridé.
Pas
d'argent en montagnes à gagner.
Sur
la ligne, bon dernier, je veux finir.
Ses
éperons, je vais les lui rappeler.
Je
vais rester en arrière, ralentir.
La
cloche sonne. Mon jockey sur mon dos
Rit
d'avance et attend le trophée.
Comme
j'aimerais courir dans le troupeau
Mais
sans selle et sans être bridé.
Qu'y
a-t-il ? Comment j'ose ? Qu'est-ce que je fais ?
Mon
ennemi, je vais le favoriser.
C'est
très simple, je ne peux pas me contrôler,
Je
ne peux pas ne pas arriver premier.
Mais
que faire ? Celui que j'ai sur le dos,
Il
me reste plus qu'à le désarçonner,
Puis,
courir comme avec le troupeau
Avec
selle et bride, mais sans jockey.
Je
suis premier. Lui traîne à dix longueurs
Sur
les pierres, les flaques et la rosée.
Pour
une fois, je n'étais pas l'ambleur,
Comme
tout le monde, j'ai essayé de gagner.
1970
54. LE BATEAU ECHOUE
Le capitaine, ce jour-là,
se laissait tutoyer.
Le skipper et le mousse
rivalisaient de talent.
Les matelots de quart,
comme des diables se démenaient,
Bombant le torse, arrachant
leurs pansements.
Les portes de nos têtes
ont sauté de leurs gonds
Dans ces mirages de
rêves, de terres en surplomb,
Tellement promises,
désirées ardemment
De Christophe Colomb et
de Magellan.
Voir rivages et terres ne
me sera pas donné :
A neuf noeuds, sur la
grève, je me suis échoué.
Or, mon but était noble
comme celui des pionniers.
Mais c'est vrai que c'est
de ma faute si je suis ensablé.
Les autres sont partis,
ma flotte, mes galions,
Les plus sensibles
d'entre eux ont pleuré des embruns,
Sans moi, s'est
poursuivie la grande expédition
Et les voiles m'ont fait
des signes d'adieu de loin .
Maudissant la météo et la
destinée,
Mes fils adoptifs m'ont
tous abandonné.
Ils ont tiré deux salves
d'enterrement
Du "Christophe
Colomb" et du "Magellan".
Je bois l’écume: la vague
n'atteint pas mon menton,
Mes bords sont dénudés de
la cale au ponton,
En très piteux état, je
ne peux le cacher.
Admirez dans ce cas mes
blessures et mes plaies !
Ce sabord dans ma coque,
c'est d'un boulet la trace.
Là, les cicatrices d'un
éperonnage.
Vous voyez ces balafres ?
C'est celles d'un pirate
Qui me brisa les
vertèbres lors d'un abordage.
Ma quille, vieux chevalet
de guitare décentré,
Le récif de corail, tout
du long, m'a éventré.
J'étouffe, je moisis : il
faut se dire
Que même ce qui est salé
peut pourrir.
Les vents boivent mon
sang, s'insinuent dans mes fentes.
De la dunette au flanc,
partout les vents me hantent.
De l'aurore à l'aurore,
ils sont là, je tiens le coup.
Dans mon âme perdue, ils
enfoncent leurs clous.
Et tels des fêtards fous
qui mettent tout sens dessus dessous,
Ces vents sont importuns,
les pires des compagnons.
Ils voudraient déguster
de mes cales le vin doux
Ou alors, de colère, me
désensableront !
J'en suis persuadé, comme
un fauve traqué,
Cette haine des vents, je
pourrais m'en passer !
Mes mâts sont des bras
sans force, sans âme,
Mes voiles prennent
l’aspect d’une poitrine de vieille femme.
Un miracle viendra !
Le ressac, doucement,
Lavera mon corps d’eau
vive, en un instant.
Pour chasser mes tabous,
mer et pluie s'uniront.
Mes voiles gonfleront
comme des veines sur le front.
Je rejoindrai les miens,
les rejoindrai, les prierai
De se rappeler l'armada
oubliée
Et je reprendrai mon
équipage, en effet,
Je ne lui en veux pas de
m’avoir laissé tomber !
Seulement, on me rejette,
il n’y a plus de place dans le rang.
Tu veux rire, corvette,
serre-toi, je serai franc !
J'ai fui mon triste
sort ! Je suis votre frère à tous.
Frégate, plus à babord,
il y a de l'eau pour tous.
Vous avez passé les
bornes ! Que je retourne dans mon coin ?
Si l’on s’est échoué, ne
peut-on aller plus loin ?
Nous sommes tous des
navires, élargissez les rangs.
Pour tous, il y a de
l'eau. Des terres, il y en a tant.
De ces terres promises,
désirées ardemment
De Christophe Colomb et
de Magellan.
1970
55. CHANSON LYRIQUE
à Marina
Les pattes des sapins
tremblent, enneigées,
Et l'oiseau lance ses
trilles, effrayé.
Tu vis en plein cœur
d'une forêt charmée
D'où l’on ne peut jamais
s'évader.
Que les merisiers se
dessèchent au grand vent
Qu’en averse le lilas
défleurisse,
Je t'arracherai à ta
forêt pourtant,
Pour le palais où les
syrinx retentissent.
Ton monde, pour des
siècles, où les mages veillent,
Est gardé de moi et de la
clarté,
Et tu crois que rien au
monde n'est merveille
Que ce bois, cette forêt
enchantée.
Que meure la rosée aux
feuilles du levant
Et que la lune chamaille
le ciel amer,
Je t'arracherai à ta
forêt pourtant
Pour la chambre claire au
balcon sur la mer.
Quel sera le jour et
quelle sera l'heure,
Où prudemment, tu
viendras à moi ?
Je t'emporterai dans mes
bras de voleur
Nul, à nous trouver, ne
parviendra.
Si le vol te sied, je me
ferai bandit,
Tant d'amour en vain
serait-il gâché ?
Accepte, je te prie, une
simple hutte si
Et la chambre et le
palais sont occupés.
1970
56. DE DERRIERE
Il fut un temps, je
courais au premier rang,
Tout ça parce que je
n'avais pas tout compris.
Je vais m'asseoir
derrière maintenant:
Tu sens un fusil dans le
dos, quand tu es devant,
Le regard lourd, le
souffle des ennemis.
De derrière, c'est sans
doute moins brillant,
Mais le champ de vision y
gagne en majesté.
Plus grands y sont
perspective et élan
Tout comme horizon et
sécurité.
Leurs yeux braqués sur la
vivante cible
En peloton de canons de
fusil !
Dissimuler ma nuque est impossible,
Pour poignarder ou faire
une avanie.
Le premier rang, pour
moi, est délétère,
On dit : (mais ces
pensées me rendent maussade)
C’est mieux où c’est le
plus sombre, la rangée dernière,
De là, on ne peut opérer
de marche arrière
Car, dans le dos, le mur
fait barricade.
Passent les jours et
coulent les rivières.
Tant pis si vous trempez
de pleurs la toile
De votre oreiller, avant
que d’être grand-père,
N'allez jamais à la
rangée première,
N'essayez pas de devenir
danseur-étoile.
Où je me dis qu'en ver,
je vais me transformer.
ça ne vaut rien, l'ombre éternellement :
Ne traîne pas trop
toujours au dernier rang
Et peu à peu, rampe
jusqu'au premier.
1970
57. J'AI QUITTE LA RUSSIE
Je ne suis plus là, j'ai
quitté la Russie.
Mes fillettes se
promènent, morve au nez.
Car mes graines*, je les
sème aujourd'hui
Sur des Champs-Élysées
étrangers.
Dans un tram, un type
dit, rue Presna :
"Il n’est plus là.
Pas dommage qu'il s’en aille,
Ses chansons qu'on ne
comprenait pas,
Il n'a qu'à les écrire
sur Versailles. "
Derrière moi, je les
entends bavarder :
"Ce n'est pas lui.
Le vrai, il est parti"
"Ah, pas lui ?"
et eux de rigoler,
Entassés, à genoux dans
le taxi.
Mon copain de prison à
Magadan
Depuis la guerre civile,
mon ami,
Dit que je lui écris :
"Ivan,
Viens, mon frère, avec
moi à Paris."
J'ai déjà demandé à
revenir.
J'ai supplié, rusé, me
suis avili.
Quelle farce ! Je suis
pas prêt de revenir
Parce que je ne suis pas
parti.
Et tous ceux qui
croyaient, à chacun un cadeau,
Qu’il y aurait happy end
comme au ciné:
Vas-y, fauche-leur l’arc
de Triomphe !
Fais main basse sur les
usines Renault !
Ça fait rire, j’en meurs
de rire tant j‘en ris
Ce délire comment y ont-ils
cru ?
Ne vous inquiétez pas je
ne suis pas parti.
Ne rêvez pas, je ne
partirai pas non plus !
1970
* il s’agit de graines de
tournesol
58.
JOYEUX REQUIEM
Que
tu ailles en train ou en automobile
Ou
même à pied, avec du remontant,
A
notre époque, ce n'est pas très facile,
Vu
le trafic, de survivre très longtemps.
Un
accident sur le périphérique,
Trois
jeunes gens qui enterraient l'aïeul,
Chauffeur
compris, se retrouvent en clinique,
Sauf
un, celui qui était dans le cercueil.
Dans
les aigus, la voix du diacre forçait,
Les
pleureuses se lamentaient, se frottant l’œil,
Les
cuivres sonnaient faux. Tout le monde mentait,
Tout
le monde, sauf celui qui était dans le cercueil.
Ancien
directeur et bandit en secret,
Prompt
à baiser le front et à cracher, dégoûté.
Ils
se sont penchés sur lui, mais le timide allongé
N’a
plus embrassé personne désormais.
Mais
l’orage tonne, tu auras beau faire. Tu vois,
Les
forces naturelles se moquent bien des discours.
Tout
le monde s’enfuit sous les dalles, sous les toits,
Seul
le défunt n’a pas déguerpi à son tour.
Qu’est-ce
que la pluie pour lui ? Il ne peut pas
ficher le camp.
Les
vivants sont moins endurcis, voilà tout.
Mais
les défunts, anciens individus ex-vivants,
Sont
des gens audacieux, bien plus que nous.
Tu
auras beau te presser, tu seras précédé
D’un
label gluant comme une marque sur le front.
Ah,
mais, par contre, tu ne seras plus menacé
Quand,
dans le cercueil de chêne, tu seras pour de bon.
Dans
une fosse commune ou un caveau personnel,
Les
morts n’ont pas de problème de logement.
Bravo
! Ce cadavre, cette dépouille mortelle,
N’exigera
plus de démarches superflues maintenant.
Au
Royaume des ombres, dans cette société sévère,
Il
n’y a ni danger, ni sombres desseins.
Mais
nous, sous la protection de Dieu, nous vivons sur terre
Et
ceux, qui sont dans la tombe, ils n’ont rien.
Les
critiques fusent : “il encense les
morts.”
“Non,
moi, je refuse cette destinée atroce.
On
nous broiera, je ne sais pas quand encore,
Tous,
sauf ceux qui sont déjà dans la fosse.”
1970
59. L'AUTOMOBILISTE
Je suis tombé, rejetant
ma houlette,
Dans la neige, étendu à
la renverse.
Puis, je vais m'asseoir
dans le cercueil à roulettes.
Je méprise la circulation
pédestre.
Je ne voulais pas jeter
de l’huile sur le feu,
Avec mon destin, ce n’est
pas l’épreuve de force,
Je pensais juste allonger
un petit peu
Mon existence par ce
moyen véloce.
Auparavant, de mes
chaussures de sport,
Je piétinais les
sentiers, les planchers.
Invulnérable, je l’étais
à l’opprobre.
J’étais inaccessible aux
quolibets.
Je suis passé dans un
autre groupe spécifique.
Je n’entrerai plus dans
la danse, dans la file.
Je roule et je vois, les
regards obliques,
Des autres sur moi et mon
automobile.
Plus de relations, plus
de poignées de mains.
Ma société s'est détournée
de moi.
L'inimitié doucereuse a
pris fin,
L'hostilité ouverte
commença.
Je fonçais dans ce monde
qui nous est étranger.
Rectifiant les règles de
circulation.
J'ai pu serrer la main
des policiers
Qui m'ont laissé deux
belles contraventions.
Dans la bagarre, je suis
entré crescendo.
Je voyais le matin les
attaques de la nuit,
Un nœud de marin à
l'antenne de radio
Comme pour me dire :
"C'est ça qui t'est promis !".
Se faufilant parmi les
potagers,
Ils poignardaient mes
pneus à coups d’alène.
A coups de roubles, je
les ai repoussés.
Et je tins bon, aguerri
dans l’arène.
Les nuits sans lune, plus
d’une fois, c’était l’usage,
En embuscade, l'ennemi je
l'attendais.
Mais il avait un service
de contre-espionnage
Et, dans mes pièges,
jamais il ne tombait.
Ils enlevèrent sans bruit
comme un otage
Le pont avant et
disparurent au loin.
Le pont avant, autant
dire pas de dommage,
Oui, mais sans lui,
l'autre pont ne sert à rien !
J'ai pu trouver roues et
ponts et volant
Grâce aux pots-de vin et
pas pour mes beaux yeux.
J'ai compris qu'on ne
peut abattre un géant.
En arrière toute ! Tant
que la voiture le peut !
Vers mes piétons
imputrescibles, je reviens !
Fais marche arrière,
sésame, ouvre-toi bien !
Vers le métro, les
passages souterrains !
Arrière, à gauche et
debout sur le frein !
Je renaîtrai des cendres
et comme avant.
Crachant le poussier,
j’aurai le sourire facile.
Je ne serai plus haï par
tous les gens
Parce que j’avais une
automobile !
1971
60.
AUX POETES ET AUX EPILEPTIQUES
C'est
l'essence même du Poète de finir tragiquement
A
plus forte raison à un moment précis.
Sur
le nombre 26, à « l’Angleterre * », l’un d’eux se pend
Un
autre, c’est le pistolet qu’il avait choisi. **
Sur
le nombre 33, le Christ, un Poète avéré,
Dit
: "Si tu tues ton prochain, je te trouverai".
Alors,
un clou aux mains pour qu’il ne puisse rien tenter,
Et
un autre dans le front pour l'empêcher de penser.
Sur
le nombre 37, soudain, l'ivresse m'a quitté,
Et
maintenant encore, je sens un froid glacé.
Le
duel, à cet âge-là, Pouchkine déjà le pressentait.
La
tempe sur le canon, Maïakovski gisait.
Sur
ce nombre 37, arrêtons-nous un petit instant.
Dieu
est perfide, Il pose une question franche : ou bien, ou bien.
Et
Byron et Rimbaud tous deux gisaient à ce tournant,
Mais
les contemporains l'ont dépassé, on dirait bien.
Le
duel n'a pas eu lieu, ou a été reporté
On
m’a crucifié un peu à trente-trois ans.
Pas
encore de sang, déjà à 37 ans passés,
Mes
tempes sont à peine tachées de quelques cheveux blancs.
Quoi
? Se tuer avec mollesse? Ça fait longtemps que j’ai l’âme dans les
talons !
Psychopathes,
épileptiques, soyez patients!
Les
poètes marchent sur le fil du rasoir, tout du long
Et
leur âme déchaussée, il la tranche juqu’au sang.
Il
faudrait bien trois "O" pour écrire "lon-ong cou".
Il
faut raccourcir le Poète ? C’est lumineux !
Egorgé,
parce qu’il fut dangereux !
Je
vous plains, partisans de tous ces dates et chiffres fâcheux
Comme
otages au harem, languissez, languissez.
Comme
la longévité s'est simplement allongée un petit peu,
Le
départ des poètes est sans doute repoussé.
C’est
vrai qu'un long cou est une pièce de choix pour le gibet,
Que
la poitrine est une cible rêvée pour le fusil,
Ce
n’est pas par des dates qu’ils ont leur immortalité,
Alors,
ne pressez pas les vivants, je vous prie.
1971
*
S. A. Essenine s'est pendu à "l'hôtel d'Angleterre".
**
M.Y. Lermontov est mort en duel.
61.
LE CHANTEUR DEVANT LE MICRO
Tout
le monde me voit dans cette lumière jaune,
La
même procédure aujourd'hui comme hier,
Devant
le micro comme devant une icône.
Non,
aujourd'hui, devant une meurtrière.
A
ce micro-là, je n’ai pas l’heur de plaire.
Ma
voix devient horrible pour l'assistance,
Si
je mens un peu, ça m’en a tout l’air,
Il
amplifiera le mensonge par sa puissance.
La
rampe me frappe les côtes avec ses feux,
J'ai
le visage mauvais dans les projos,
Et
les spots latéraux me brûlent les yeux.
J'ai
chaud, j’ai chaud, j’ai chaud.
Je
suis vraiment enroué aujourd'hui,
Mais
je n'oserai pas changer de tonalité.
Si
je me mets à truquer, ce n'est pas lui
Qui
redressera ce qui est faussé.
Lui,
la sale bête, coupant comme un rasoir,
Oreille
si fine qui entend les fausses notes,
Il
s'en moque que je ne sois pas en forme ce soir
Du
moment que j'égrène toutes mes notes.
Et
ce micro au cou souple et fluet
Fait
osciller sa tête de serpent.
Il
me mordra si jamais je me tais.
Je
chante à mort jusqu'à l'abrutissement.
Je
ne dois pas bouger ni faire un seul mouvement.
J'ai
vu ses crocs : c'est un reptile qui est là.
Je
suis devenu un charmeur de serpents.
Je
ne chante pas : je charme ce cobra.
Il
est vorace comme les oisillons,
Prend
sa becquée et avale mes notes,
Me
colle ses neuf grammes de plomb sur le front.
Sur
la guitare, j'ai les mains qui tricotent.
Est-ce
que cela finira donc jamais ?
Maintenant,
il est comme un cierge devant moi.
Est-ce
que ce micro me dira qui il est ?
Je
suis pas un saint et le micro ne brille pas.
Mes
mélodies sont plus simples que des gammes.
Mais,
si jamais j'essayais d'en faire trop,
J'aurais
les joues cinglées, et jusqu'à l'âme,
Par
l'immobile ombre de mon micro.
1971
62.
L'ETUVE ENFUMEE
Arrête,
Rassemble
tes pensées absurdes !
Sois
prête !
Apprête
!
Pour
moi l'étuve même enfumée
Apprête
!
Proteste
!
De
toutes façons, tu vas me noyer.
Proteste
!
Apprête
Pour
moi l'étuve à ta façon !
Sois
prête !
Oh,
je cesserai de me torturer,
Je
vais m’accoutumer
Mais
je doute, c’est vrai,
De
me purifier.
Projette
De
l'eau sur les murs tout noircis !
Projette
!
Apprête
Pour
moi l'étuve même enfumée
Apprête
!
Accepte
!
Ton
sort . Ma chemise où l’as-tu
Retrouvée
?
Apprête
!
Oh,
aujourd'hui, de toute souillure
Je
veux me laver.
Oh,
je cesserai de me torturer,
Je
vais m’accoutumer
Mais
je doute, c’est vrai,
De
me purifier.
Achète
Un
des gars de la sécurité !
Achète
!
Apprête
Pour
moi l'étuve dès le point du jour !
Apprête
!
Proteste
!
C'est
toi, tu le sais, qui m'as donné
En
traître.
Apprête
!
Que
je sois propre comme le chiot qui vient
De
naître.
1971
63. L'HOMME FINI
La torpeur dans mes os,
en lézard, a rampé.
Ma tête froide et mon
coeur, au couteau, ne se battent plus.
La vitesse ne coupe plus
mon souffle régulier.
Mon sang dans les virages
ne se glacera plus.
Ma gorge désormais par
l'amour n'est plus nouée.
Mes nerfs sont détendus,
avec eux, on peut jouer.
Comme une corde à linge,
mes nerfs sont suspendus.
Qui de nous, lui ou moi ?
Ça ne m'angoisse plus.
Je
suis assis, pousse-moi donc, je tombe à bas.
Que des “ni”, que des
“non”, je n'ai que ça.
Je ne bois pas d'eau de
source pour protéger mes dents.
Je ne bouscule pas les
gens, encore moins les faits.
Mon arc traîne à terre,
sa corde pourrit lentement.
J’allume mon poêle avec
les flèches brisées.
Je ne suis plus tendu, je
ne fonce plus, c’est le train-train.
Même les attaques contre
moi ne m'inspirent rien de rien.
Je n'aime pas les
casse-cou, ça me fait enrager.
Ceux qui foncent tête
baissée, j'aime mieux ne pas en parler.
Sur
mon cheval gris, une chiquenaude, je tombe à bas.
Que des “ni”, que des
“non”, je n'ai que ça.
Je ne cherche pas à
comprendre ni à changer non plus.
Je ne veux pas faire de
noeuds, encore moins en dénouer.
On peut ne pas refermer
les angles qui sont obtus,
Car trop aigus les angles
finissent par s'éclipser.
Mon coeur par la
tendresse ne peut plus être touché
Et personne ne peut plus
me persuader.
Et comme mon cerveau est
étranger à tout,
Les craintes, pas plus
que mes bottes, ne me serrent plus du tout.
Sur
mon cheval gris, une chiquenaude, je tombe à bas.
Que des “ni”, que des
“non”, je n'ai que ça.
Pas de blessures
lancinantes, de cicatrices douloureuses,
On a mis des compresses
stériles pour les calmer.
Ni angoissantes, ni
alarmantes ou dangereuses
Ne sont mes rêveries, mes
questions, mes pensées.
Ma ceinture, peu m’importe
qu'elle soit serrée ou pas.
Une balle dans la tempe
ne me ferait ni chaud ni froid.
Comme une baie ouverte,
je suis tout transparent
Et aussi fade qu'une
étoffe de lin blanc.
Sur
mon cheval gris, une chiquenaude, je tombe à bas.
Que des “ni”, que des
“non”, je n'ai que ça.
La pierre philosophale,
je ne la recherche plus,
Ni la racine de vie: le
ginseng a été trouvé.
Je n'entreprends plus
rien, ne veux plus, ne vibre plus,
Et je n'espère plus que
la cible soit touchée.
L'attraction de la Terre,
sans lutter, je m'y soumets,
Je suis couché ainsi un
peu plus loin du gibet.
Et mon coeur me tiraille
comme si ce n'était pas le mien.
Vers les “ni”, vers les
“non”, il faut se mettre en chemin.
Rien n'a de sens,
frôle-moi donc, je vide l’étrier.
Que des “ni”, que des
“non”, c’est ce que j'ai.
1971
64.
L'HORIZON
Pour
effacer mes traces, partout, ils ont balayé.
Injuriez,
diffamez, sonnez les carillons !
Mon
but, c'est l'horizon, le bout du monde, c’est l'arrivée,
Je
dois être le premier à l'horizon.
Pari :
on a topé tant pis, bon gré mal gré,
Même
ceux qui n’était pas d’accord avec le règlement !
La
seule règle est celle-ci : rouler, rouler, rouler,
Rouler
sur le bitume sans un tournant.
J'enroule
les kilomètres aux cardans,
Parallèle
à ces poteaux défilant.
De
temps en temps, devant moi, passe une ombre,
Un
chat noir ou quelqu'un, ombre sombre.
J'ai
l'habitude qu'on me mette des bâtons dans les roues.
Je
sais où et comment ils me tromperont sans doute,
Où
ils couperont ma course, ricanant par-dessous,
Où
ils tendront un fil barrant ma route.
A
cette vitesse folle, le moteur est brûlant
Et
la moindre poussière a la force des balles !
Epuisé,
j'ai des crampes, je serre le volant,
Ah,
réussir avant l'instant fatal !
J'enroule
les kilomètres aux cardans,
Verticalement
aux poteaux défilant.
Plus
vite ! Se desserrent les écrous !
Ils
vont lever le fil à la hauteur de mon cou.
Les
pare-chocs sont en feu, le bitume a fondu.
J'ai
le ventre serré au bord du dénouement.
Je
brise le filin de ma poitrine nue.
Enlevez
vos brassards noirs. Je suis vivant !
Qui
donc m'a obligé à ce pari horrible,
Imbécile
dans son but et son déroulement ?
Le
danger m'a saoulé d'une façon terrible,
Je
freine à fond dans les tournants.
J'enroule
les kilomètres aux cardans.
En
dépit des filins et des câbles, pourtant.
Les
perdants devront se faire une raison
Lorsque
j’apparaîtrai à l'horizon !
L'horizon
est toujours éloigné comme avant.
Ma
vertèbre cervicale n'a pas cassé le filin.
Je
n'ai pas rompu le fil, je n’ai pas coupé le ruban.
On
me tire dessus près du ravin !
Personne
n'a parié un rouble que j'irais vite.
On
m'a demandé: Ne perds pas de temps sans
raison !
Essaie
de savoir si la Terre a une limite
Si
on peut repousser les horizons.
J'enroule
les kilomètres aux cardans,
Je
ne me laisserai pas tirer dessus en montant.
Mais
les commandes refusent, les freins ont lâché !
Et
l'horizon, en route, je l'ai raté.
1971
65.
JE NE VOGUERAI PLUS
Je
suis gros-Jean comme devant, je ne peux plus m'en aller.
Le
sol m'a mis chaînes et fers aux pieds
Indifférents
aux passerelles, à tout jamais,
Mes
officiers à terre ont débarqué.
C'en
est fini, je ne voguerai plus.
Au
port, plus de rendez-vous.
Aujourd'hui,
je suis en surplus,
Désarmé
et sans le sou.
Mes
chansons aujourd'hui sont vides et désertiques.
Elles
ont toujours plus de trous, plus de plaies.
Mes
officiers ont tous enlevé leurs tuniques
Comme
si c'était leur peau qu'ils arrachaient.
C'en
est fini, je ne voguerai plus.
Au
port, plus de rendez-vous.
Ah
! La retraite absolue !
J'en
ai la gorge qui se noue.
Les
capitaines diront: “ Ne sois pas attristé !”
Je
ne suis pas triste, je hurle tel un loup.
Ce
ne sont pas mes chansons seules que vous avez emportées,
C’est
mon âme que vous avez prise avec vous.
Dans
les ports vous accueillaient des foules d’amis sincères.
Je
partageais vos lauriers à mon tour,
M’imaginant
descendre moi aussi à terre
Dans
ces Le Havre, ces Tokyo, ces Hambourg.
C'en
est fini, je ne voguerai plus.
Au
port, plus de rendez-vous.
Ah
! La retraite absolue !
J'en
ai la gorge qui se noue.
La
mer est bien plus forte que les places, j'espère,
Plus
solide que les maisons qu'on bétonne.
L'océan
est meilleur enchanteur que la terre.
Je
vous retrouverai, à partir de Lisbonne.
C'en
est fini, je ne voguerai plus.
Au
port, plus de rendez-vous.
Aujourd'hui,
je suis en surplus,
Déposé
et sans le sou.
Je
rêve de mécaniciens, je rêve de skippers,
La
vie tranquille ne les rend pas hystériques.
Les
officiers descendent des passerelles des tankers,
Et
des cargos, et des transatlantiques.
Partir
en mer, j'en suis encore capable.
Au
port, j'aurai rendez-vous.
La
retraite, qu'elle aille au diable,
Avec
ma gorge qui se noue !
1971
66. JIGOULI
Il n'y a pas moyen
d'expliquer ce cataclysme.
Dans ma petite rue
tranquille, je rentrais au logis.
Sur moi, tout arrogant,
fonce le capitalisme,
Cachant sa face de fauve
derrière une " Jigouli " !
Les passages souterrains,
je ne les prendrai pas, de fait
Le crissement des freins
m'est une romance à trois roupies.
C'est-il pour ça que je
suis mort et que j'ai gelé en dix-sept
Pour qu'un propriétaire
me nargue en " Jigouli " ?
Ce n'est pas un ami, ce
n'est pas un allié,
C'est mon fieffé ennemi,
Ce proprio privé à
pince-nez
En blanche, grise ou
verte " Jigouli " !
Ça ne fait rien ! Je
reviens à la bonne vieille tactique,
Je prends le maquis. Si
je suis absent, qu'est-ce qu'ils peuvent faire !
Cette nuit, j'ai crevé
d'un coup trois pneumatiques
Ça allait mieux : j'ai
dormi sans somnifère !
Pour casser la portière,
une perceuse électrique
Et un marteau-piqueur,
vas-y, pour percer le toit.
Je ne veux pas qu'on
calomnie notre ville soviétique
Où l'on brasse une bière
" Jigouli " comme ça !
Ce n'est pas un ami, ce
n'est pas un allié,
C'est mon fieffé ennemi,
Ce proprio privé à
pince-nez
En blanche, grise ou
verte " Jigouli " !
Et, pour tous mes péchés,
je ne serai pas puni :
J'ai conquis tous les
droits à l'hosto psychiatrique.
Je te les collerais au
mur, moi, tous ces malappris,
Je leur lancerais dessus
une benne mécanique !
Mais bientôt, je ferai
une voiture à moi.
J'ai les pièces. Loin de
moi, l'instinct de propriété :
Je la polirai bien, puis,
d'un coup, patatras !
Sous les fenêtres de
l'hôtel " Métropole " je la briserai .
Il y a un hic : c'est à
moi ces pièces détachées !
J'ai mal dormi, je n'ai
bu que du thé, je ne mange pas …
Je file, je file, au
commissariat m'enregistrer
Ah, zut ! une "
Moskvitch " m'éclabousse, le scélérat !
Ce n'est pas un ami, ce
n'est pas un allié,
Ce n'est pas un copain,
je t'en fiche,
Ce proprio privé à
pince-nez
En blanche, grise ou
verte " Moskvitch " !
1972
67.
LES MINES
Enfouis
pour des siècles dans notre mémoire
Sont
dates, visages et événements.
La
mémoire est profonde comme un puisard.
Jette
un oeil dedans et, sans retard,
Tu
verras ton visage très vaguement.
Distinguer
la vérité de l’invention,
Seuls
des juges impartiaux peuvent le faire.
Attention,
pour le passé, attention !
N'allez
pas briser le pot de terre.
Les
uns remuent ça paresseusement,
D'autres
se rappellent, sans le faire exprès.
D'autres
veulent oublier totalement.
Le
passé reste là, vieux gisement
Qu'on
ne découvrira jamais, jamais.
Les
panneaux indicateurs emportés
Par
le flux des années hors frontière,
C'est
facile de s'égarer dans le passé,
De
ne plus trouver de voie en arrière.
Ne
condamne pas tout de suite, sois patient !
Les
gens ont, pour tout, leurs raisons privées.
Ils
ne veulent pas cacher, oublier seulement
Car
dorment dans l'ombre épaisse des ans
Des
mines rouillées, des mines oubliées.
Creuser
dans les champs de mines du passé,
Il
vaut mieux ne pas faire d'erreur, sinon,
Sur
un champ de mines, si on vient à se rater,
Non,
personne n'en a réchappé, non.
Une
secousse : les aiguilles vont démarrer
Et
les nerfs des gens ne sont pas d’acier.
Ça
va exploser, se dégoupiller.
Ah,
le détonateur, si les gens le trouvaient
Et,
avant l'explosion, pouvaient l'ôter.
La
terre, sous les fleurs, dort tranquillement.
Il
s'y trouve encor des mines qui dorment.
Des
mains expertes les retirent doucement
Et
les font exploser loin des hommes.
1971
68.
NE TOURNEZ PAS AUTOUR DU POT
A
toutes vos questions, je répondrai totalement,
Je
donnerai satisfaction à votre curiosité.
Oui,
ma femme est française, assurément
Mais
par ses origines, pas de doute, russe, elle l'est.
Est-ce
que j'en aurai ? Pour l'heure, ça ne me tente pas.
Il
y a deux ans que je ne suis plus en état d'ivresse.
Est-ce
que je reboirai ? Je ne suis pas sûr, je ne sais pas.
Mais
non, je ne vis pas près de Sokol.
Pour
Paris, c'est encore trop tôt.
Posez
des questions directes, ma parole !
Ne
tournez pas autour du pot !
Je
veux bien répondre à votre examen
Comme
au pope à l'église quand on va se confesser.
Votre
salive coule sur votre calepin.
Les
questions vont porter sur la chambre à coucher.
Je
l'aurais parié. Le reporter susurre,
Tout
rouge : "Vous avez changé de femme souvent ?"
Comme
s’il avait regardé par la serrure,
Ou
faisait sous le lit des enregistrements.
Mais
non, je ne vis pas près de Sokol.
Pour
Paris, c'est encore trop tôt.
Posez
des questions directes, ma parole !
Ne
tournez pas autour du pot !
Maintenant,
passons au plus important.
Un
qui était debout, dans un coin, indécis,
Demande
: "Que vouliez-vous dire vraiment
Dans
cette chanson-là et dans ce vers précis ?"
Ma
réponse : "Esope ne renaît pas en moi.
Je
n'ai pas de tour en poche. Ne vous agitez plus.
Ce
que je voulais dire, je l'ai dit, voilà.
Je
retourne mes poches. Vous êtes convaincus ?"
Mais
non, je ne vis pas près de Sokol.
Pour
Paris, c'est encore trop tôt.
Posez
des questions directes, ma parole !
Ne
tournez pas autour du pot !
1971
69. SUR "LA CHASSE
AUX LOUPS"
Fini le temps des
préludes, des introductions.
Tout va très bien, je ne
mens pas, c’est du sérieux.
Les grosses légumes
m'invitent à la maison
Pour que je leur chante
"La chasse aux loups" chez eux.
Peut-être l'a-t-il
entendue par la fenêtre
Ou peut-être bien que les
gosses ont ramené ça.
Va t'y fier. Mais il a
une cassette,
Ce camarade, un
responsable lambda.
Et, délaissant le
bavardage quotidien
De la famille, dans la
lumière tamisée,
Tout bas pour que
n’entendent pas les voisins,
Il a appuyé sur le bouton
« Play ».
Les derniers mots
n'étaient pas clairs du tout,
(C’est une mauvaise copie
qu’on lui a donnée)
Il a pu entendre "La
chasse aux loups"
Et quelque chose d’autre
sur la face B.
Après avoir écouté
jusqu'au bout,
Très en colère que les
derniers mots manquaient
Il téléphone :
"L'auteur de la chasse aux loups,
Convoquez-le demain à mon
cabinet !"
Pour m'encourager, je
n’ai pas bu de vin.
Et réprimant mon hoquet
pour qu’il passe,
Sur le perron, du début à
la fin,
J'ai donc hurlé cette
chanson sur la "Chasse".
Ses enfants l'ont prié,
selon toute vraisemblance,
De paraître aimable, et
il m'a souri,
Il m'a écouté avec
bienveillance
Et, même, à la fin, il
m'a applaudi.
Et faisant tinter les
verres et la vodka
Qu’il venait d’extraire
d’une étagère à livres,
Il a lâché : "Mais,
il chante sur moi,
Sur nous, nous
tous ! Qu’est-ce que c’est que ces loups, fichtre?"
Bien sûr, maintenant,
c'est fini, attendons.
Trois ans déjà, cinq
rappels par jour, debout.
Les grosses légumes
m'invitent à la maison
Pour que je leur chante
chez eux "La Chasse aux Loups".
1971
70. LES ARMEES DU PRINTEMPS
Perçant une brèche dans
la quiétude
Le printemps a attaqué.
Alors les toits exsudent
Leurs langues enneigées.
Le printemps
crève-la-faim
Montre les crocs,
menaçant.
Comme de la langue d'un
chien,
La bave des toits
descend.
Aspirant au succès, les
armées printanières
Sur les cartes, tracent
des flèches droites. Tout est au clair.
Et les guerriers, dans
leurs célestes armures légères,
Enfoncent les blanches
troupes de l'hiver.
Se réjouir est prématuré!
Le général Hiver
Ne cédera pas sans lutter
Ses places fortes sans
rien faire.
Tapi, sous le drapeau
blanc,
Il rassemble ses
régiments.
Et soudain,
sournoisement,
Le gel frappe de flanc.
Le combat continue, en un
sort capricieux,
Là, lumière et ruisseaux,
là, ténèbres, frimas
Et les guerriers, dans
leurs armures légères des cieux,
Avec des pertes, se
replient du combat.
Le gel frapperait,
peut-être,
Mais il ne se contient
pas.
Il mène avec la tempête
Des noces, un vrai
sabbat.
Les volets ont claqué:
Le vent qui fait la foire
S’est bien vite empressé
De fêter la victoire.
A l’arrière, on parle de
succès, dans le camp de l’hiver.
Des ténèbres parviennent
des rapports effrontés.
Mais les guerriers, dans
leurs célestes armures légères,
Au royaume hivernal,
enfoncent des coins ferrés.
La poigne du soleil
chaud,
Et cela où que l’on soit,
Se resserre, sans un mot
Sur la gorge des frimas.
Le miracle ne pourra se
faire.
La neige n’est plus qu’en
pans.
Les armées de l'hiver
Hissent partout le
drapeau blanc;
Et plus loin, vers le
nord, l'offensive recommence.
L'eau s'est mise à
chanter, tout en se réveillant.
Le printemps inéluctable,
comme une renaissance,
Il est indispensable,
parce qu’il est le printemps.
Ceux qui vivaient bien,
hier
Dans le froid,
s'aiguisent les dents
Et versent des larmes aux
gouttières,
Des tuyaux d'écoulement.
Mais leur prix n'est pas
très élevé
A l'étal des camelots.
Le printemps nous est
envoyé
Sur la terre, de plus
haut.
Juste deux mots aux
soldats, bien qu'ils soient victorieux.
Ne rangez pas vos armes
dans quelque coffre-fort
Car vos armures légères
des cieux,
L'année prochaine, elles
serviront encore.
1972
71. AU PROFOND DES FORETS
Les animaux galopent dans
les forêts
Non pour le gîte et le
couvert, non par peur.
En bandes joyeuses, jour
et nuit, sans arrêt,
Ils recherchent les
chasseurs.
Ils en oublient leur
terreur ancestrale
Et s'imaginent que tout
leur est possible.
Face au danger, ils
s'arrachent les poils,
S'écroulent à la
renverse, feu sur la cible !
Combien sont-ils au
profond des forêts ?
Hurlant à pleines dents, toujours
rugissants,
Combien bondissant et
combien déjà gisant
Dans les maquis, les
taillis, les fourrés ?
Tous les poissons nagent
à contre-courant.
On peut à peine enfoncer
l'aviron.
Combien veulent aller
directement
Dans le plat ou dans le
poêlon !
Le poisson a le sang
froid, ce n'est pas de la viande.
La nasse, l'hameçon, le
filet lui sourient.
Il veut aller se
réchauffer sur la cendre.
C'est que la mer lui sort
par les ouïes.
Combien sont-ils au
profond des marées
Qui nagent tous en rang,
en masse pullulant,
Cannibales souvent,
méchants, mal portants,
Dans les maquis, les
taillis, les fourrés ?
Les oiseaux volent à tire
d'aile vers le plomb.
Ils sont devenus
débrouillards en somme
Et les oies sauvages
jeûnent, dirait-on,
Pour se faire farcir aux
pommes.
L'aigle lui-même, quand
il est à la chasse,
Crie à sa proie sans
défense : "Attention !"
Il se suicide au zénith,
le rapace,
Par simple chute, sans
attendre le plomb.
Combien sont-ils au
profond des forêts,
D'oiseaux consentants,
tués à bout portant,
Plongeant et planant,
virant à tous les vents,
Dans les maquis, les
taillis, les fourrés ?
La bête à fourrure ne
porte pas de manteau,
Elle saute dans le piège
ou le vivarium.
Pour peu, elle bondirait
hors de sa peau,
Pour mieux réchauffer les
hommes.
On n'y pense pas assez.
Les bêtes prises
Par leurs fourrures nous
donnent volontairement
Des milliers de centaines
de devises,
Des milliers de milliers
de notre argent.
Combien sont-ils au
profond des forêts
A verser leur sang,
offrant gracieusement
Leur cuir résistant,
vivant et luisant
Dans les maquis, les
taillis, les fourrés ?
Il fait bien sombre au
profond des forêts,
Hurlant à pleines dents,
toujours rugissants,
Combien de ruminants se
reproduisant,
Combien de serpents, de
reptiles gluants,
D'oiseaux noirs et blancs
ou au plumage éclatant ?
Combien de tire-au-flanc
et d'autres sémillants
Qui savent flairer le
vent, changer leur veste à temps ?
Combien de veaux bêlant,
de molosses aboyant
Combien de rampant se
vendant à l'encan ?
Combien d'abstinents au profond
des forêts,
Sobres et tempérants au
fin fond des bosquets,
De reptiles écœurants ou
de fous volants,
De serviles assistants et
d'autres dirigeants,
Marcescents, manants,
mendiants et mentant
Dans les maquis, les
taillis, les fourrés ?
On pourra manger le
poisson tout cru,
Les fourrures sont
nettes. Pas de plomb dans le gibier.
On ne se cassera pas les
dents dessus.
C'est bien. Pas besoin de
tirer.
Tous les chasseurs ont un
blanc tablier
Et une pancarte :
"Non-Violent". C'est normal.
Dans cette réserve, une
seule réserve : ne pas tuer.
C'est ce qu'on appelle un
parc national.
Combien sont-ils au
profond des forêts,
De mâtons mâtonnant et de
surveillants,
De bergers allemands
s'autocensurant,
Qui ratent le but en
tirant, des presque mourants,
Polluant, des beuglant du
ban et de l'arrière-ban,
Qui gardent même au repos
leur air lénifiant.
Tant, à l'heure du bilan,
de prétendus savants,
Minables, ratant leur
but, malfaisants.
Tant d'autres de peur
s'automutilant
Et ceux-là surpris de
devenir tyrans.
De langues de serpents ou
de poisons violents,
Que d'araignées
attendant, suceuses de sang.
Ils sont tous là, frêles
ou ventripotents,
Dans les maquis, les
taillis, les fourrés.
1972
72. LES CABANS NOIRS
Derrière nous, dans le dos, sont restées
crépuscules
Et déboires
Si seulement nous avions un petit même invisible
Elan
Moi, j'ai envie de croire qu’aujourd’hui nos
Cabans noirs
Vous donneront la possibilité de voir
Le levant
Aujourd'hui, ils ont dit : "Il vous faudra mourir
En héros"
D'ac, on va essayer. Faut voir comme les choses
vont
Tourner
Et fumant une cigarette étrangère, j’ai pensé
Aussitôt :
"Chacun à sa manière, moi, je veux voir le
soleil
Se lever."
Etre du commando, pour le sapeur, c'est la gloire
Assurée.
Ne me sautez pas dessus, avec le cran d'arrêt
En main
Ça ne servirait à rien. Moi, même si j'avais la
Gorge tranchée,
Je verrais aujourd'hui l'aurore se lever avant
Ma fin.
Partis dans leurs arrières, nous retenant pour ne
pas les
Egorger,
On s'est rongé une route et moi, j'ai remarqué
Alors
Un jeune tournesol encore vert, mais déjà
Attiré
Qui tournait son sommet en le dirigeant vers
L'aurore.
A six heures trente, je le sais, on laisse dans
notre dos
Franchement,
Pas seulement crépuscule et déboires mais aussi un
Sursaut.
Je nettoie en grinçant des dents les barbelés
Inquiétants,
Je n'a pas vu l'aurore, mais j'ai vu que c'était
Bientôt. !
Le commando décimé au campement enfin
S'en revient
La seule chose qui compte, c'est le fort qu'on a
fait
Sauter,
Moi, j'ai envie de croire que notre sale boulot
Va enfin
Vous offrir le pouvoir de voir libre le soleil
Se lever.
1972
73. CAMARADES
SAVANTISSIMES
Camarades savantissimes,
thésards bardés de diplômes,
Les x vous font perdre le
nord, les zéros vous indisposent.
Vous êtes là à décomposer
les molécules en atomes,
Oubliant que, dans les
champs, la patate se décompose.
Vous extrayez des
onguents de tout ce qui est avarié,
Et, au moins dix fois par
jour, tellement de racines carrées.
Là-bas, vous vous amusez,
comme des fous vous rigolez,
Pendant que se putréfie
la pomme de terre sur pied.
Jusqu'aux Quatre-Routes,
prenez l'autocar,
Et puis au trot, sans
rouspéter !
Pour la patate, on a des
égards
Quand, sur du sel, il
faut la manger.
Vous pouvez vous rendre
célèbres dans presque toute l'Europe,
Si, avec des bêches, vous
montriez ici votre amour de la patrie.
Plutôt que, sur les
tumeurs, de vous jeter en cohorte
Ou de taillader les
chiens, que c'est une vraie boucherie !
Camarades savantissimes,
les bagarres au couteau, terminé !
Vos hydrites, vos
anhydrites, abandonnez-les là,
Montez dans la
bétaillère. Chez nous, à Tambov, allez, venez,
Ils attendront bien une
petite journée, tous vos rayons gamma.
Jusqu'à Tambov, prenez
l'autocar,
Et puis au trot, sans
rouspéter !
Pour la patate, on a des
égards
Quand, sur du sel, il
faut la manger.
Chez nous, vous pouvez
venir, avec famille et amis,
On s'installera
gentiment, et vous direz après :
"Que le Diable
emporte les gènes, les chromosomes aussi,
On a rudement bien travaillé,
on va bien se reposer."
Camarades savantissimes,
vous tous, Einstein idolâtrés,
Newton inestimables qu'on
aime jusqu’aux sanglots !
Nos pauvres dépouilles
mortelles à la terre vont retourner.
La terre, pour elle,
c’est égal : apatite ou terreau.
Jusqu'aux
Quatre-Routes, prenez l'autocar,
Et puis au trot, sans
rouspéter !
Pour la patate, on a des
égards
Quand, sur du sel, il
faut la manger.
Allez, venez donc, mes
chers, en colonnes ou en escadrons,
Bien que vous soyez
chimistes et que vous n’êtes pas des saints,
Car vous allez tous
crever sur vos synchrophazotrons,
On a ici le grand air,
c’est ventilé dans le coin.
Camarades savantissimes,
pas de doute, ne soyez pas revêches.
Si jamais quelque chose
ne va pas, si ce n’est pas l’effet qu’il faut
On se pointera en cinq
sec avec nos fourches, avec nos bêches,
On cogitera une petite
journée, on réparera le défaut.
1972
74.
CELUI QUI N'A PAS TIRE
Je
vous assure que c'est
La
stricte vérité.
Moi,
dès potron-minet
J'ai
été fusillé.
Comment
et par quelles voies ?
Je
le sais très bien, mais ça
En
parler, moi, je ne préfère pas.
Mon
sergent-chef m'avait presque sauvé.
Oui,
mais quelqu'un voulait que je sois fusillé.
Le
bataillon obéit sans broncher,
Mais
il y en a un, un qui n'a pas tiré.
Mon
destin, en effet,
A
toujours été truqué.
J’ai
caché avoir fait
Un
jour un prisonnier.
Mais
Souétine, un type très
Bizarre,
infatigable,
A
pris des notes et fait
Un
rapport admirable.
Il
a sorti hors de l'obscurité
Un
beau dossier relié et bien ficelé.
Il
n’y avait personne qui eût pu s'opposer.
Si.
Il y en a un, celui qui n’a pas tiré.
La
main est retombée
Et
l’ordre retentit: “Feu !”
La
salve m'a donné
Quitus
pour d'autres lieux.
J'entends
: "Il vit, cette engeance-là.
Hosto
immédiatement,
Le
poteau deux fois, ce n'est pas
Permis
par le règlement."
Le
médecin-major en était stupéfié.
Et,
extrayant les balles, ne cessait de siffler.
Dans
mon délire, je n'ai fait que discuter
Avec
celui qui n'avait pas tiré.
Je
ne me suis pas soigné
Mais
j'ai léché mes plaies
L’hôpital
au complet
Me
montrait du respect
Tout
le sexe faible était
Amoureux
de moi, c’est sûr
"Eh,
moitié de fusillé,
C’est
l’heure de la piqûre !"
Mon
régiment se couvrait de gloire en Crimée
Et
j'envoyais du glucose par paquets
Pour
adoucir la lutte dans les tranchées
De
celui-là qui n'avait pas tiré.
Je
buvais du thé et parfois
Avec
de l’alcool fort.
Je
ne suis pas mort et je dois
Aller
rejoindre les renforts,
Dans
ma propre unité.
Le
capitaine m'a confié :
"Bats-toi.
Je ne suis pas à blâmer
Que
les gars t'aient loupé"
J'étais
joyeux mais soudain j'ai hurlé
Comme
une bête et j'ai maudit ma destinée.
Un
Allemand finit de me fusiller
En
tuant celui qui n'avait pas tiré.
1972
75. LES CHEVAUX ENTETES
Le long de l'abîme, au-dessus
du gouffre, tout près du bord, tout au bord,
Mes chevaux, de ma
cravache, je les exhorte, je les pousse encore.
L'air me manque, le vent
me saoûle, dans la brume, à belles dents, je mords.
Je me délecte d'un
frisson de mort, je cours à la mort, je cours à la mort !
Eh, ralentissez, mes
chevaux, allez, ralentissez !
Faites semblant de ne pas
entendre mon fouet !
Mais sur quels chevaux
suis-je tombé ? Quels chevaux entêtés !
Je n'ai pas eu le temps
de vivre, je n'aurai pas celui de chanter.
Là, mes chevaux boiront
alors,
Là, mon couplet encore
Je le chanterai. Rester
un instant encore près du bord ?
Je disparaîtrai, duvet
sur la main, l'ouragan me balaie,
Dans la neige, au matin,
en traîneau, un galop va m’emporter.
Changez donc pour une
autre allure, mes chevaux, moins précipitée,
Encore un peu, prolongez
la route vers le dernier refuge, le dernier !
Eh, ralentissez, mes
chevaux, allez, ralentissez !
N'écoutez pas les ordres
de mon fouet !
Mais sur quels chevaux
suis-je tombé ? Quels chevaux entêtés !
Je n'ai pas eu le temps
de vivre, je n'aurai pas celui de chanter.
Là, mes chevaux boiront
alors,
Là, mon couplet encore
Je le chanterai. Je veux
rester encore près du bord ...
On est à l'heure. Au
rendez-vous de Dieu, il n’est pas de sursis.
Mais qu'est-ce là ?
Sont-ce les anges qui ont ces voix qui sonnent faux ?
Ou n'est-ce pas la
clochette qui, de sanglots, s'est affaiblie ?
Ou est-ce moi qui hurle
aux chevaux d’emporter moins vite mon traîneau ?
Eh, ralentissez, mes
chevaux, allez, ralentissez !
Ne volez pas au galop,
s'il vous plaît.
Mais sur quels chevaux
suis-je tombé ? Quels chevaux entêtés !
Je n'ai pas eu le temps
de vivre, que n'ai-je au moins celui de chanter.
Là, mes chevaux boiront
alors,
Là, mon couplet encore
Je le chanterai. Je veux
rester encore près du bord ...
1972
75.
CINQ CENTS KILOMETRES A LA RONDE
Je
serais plutôt un beau gars,
Merci,
maman, merci, papa.
Je
me sentais bien avec les gens, je ne me disputais pas.
Je
ne commandais pas et je ne pliais pas.
Je
poursuivais mon chemin tout droit.
Je
vivais en secondant ma tête de mes deux bras.
Mais
il y eut des fuites et des ragots.
Cinq
cents autour, pas un des nôtres,
Dans
le bureau, un écriteau “ respecte le temps”, tu vois,
Ils
ne font pas dans la dentelle et sans retard,
Te
collent des tampons au hasard,
Dans
une enveloppe, au diable Vauvert, ils vous envoient.
J’ai
bourlingué, je reviens chez moi
Avec
des années dans le barda.
Elles
pèsent sur moi, je ne peux ni les vendre, ni les jeter.
Et
sur un chef, je suis tombé
Qui
avait du bagout pour recruter
Au-delà
de l'Oural, des camions, il en expédiait.
La
route et, sur la route, le MAZ
Qui
s’est embourbé là pleins gaz.
Cabine
obscure, le coéquipier se tait trois heures durant.
Il
porte la guigne, même en hurlant
Cinq
cents bornes derrière, cinq cents devant.
Il
interprète la danse du sabre avec ses dents.
On
connaissait tous deux le trajet
Nuit
ou minuit, il fallait rouler.
Ils
attendaient, sur le chantier, que l'on arrive
Comme
par hasard au Nouvel An.
Cinq
cents bornes derrière, cinq cents devant.
Pleins
phares en vain, tempête de neige, pas âme qui vive.
Il
me dit : "Tu n'as qu'à couper le moteur.
Que
les phares restent allumés des heures.
Tu
peux regarder, on ne peut rien discerner,
Il
y a cinq cents bornes autour de nous.
On
aura de la neige jusqu'au cou.
Tout
sera nivelé. Ils n’auront pas à nous enterrer."
Je
lui réponds : "Arrête tes fadaises".
Le
voilà qui cherche la clé anglaise.
Il
me regarde avec des yeux de loup, parfois il était dur.
Qu’importe
à cinq cents bornes, tu vois,
Celui
des deux qui survivra
Aura
raison quand on le mettra au pied du mur.
C'était
pour moi plus qu'un frangin.
Il
m'aurait mangé dans la main.
Mais
sa façon de me regarder, ça m'a glacé.
C'est
là que j'ai compris que nous
Etions
à cinq cents bornes de tout.
Va
comprendre qu'il ait oublié notre amitié.
Il
est descendu à côté.
Je
l'ai laissé, je me suis couché.
J'ai
rêvé du joyeux bazar tout à mon aise :
On
était à cinq cents bornes de tout,
Je
cherchais le moyen de sortir du trou,
Mais
pas d'issue, rien qu'une entrée, et une mauvaise !
La
fin est simple. Il y a un tracteur
Et
un filin, et un docteur
Qui
sont venus nous délivrer, nous et le camion.
Il
y avait un autre parcours à faire.
Il
est venu me proposer l'affaire,
Je
suis sans rancune, je le prendrai comme compagnon.
1972
77.
LE CLOWN EST MORT
Au
clown Enguibarov de la part des spectateurs
Voleur,
le clown ! Il volait une à une
Les
minutes tristes ici ou là.
Maquillages,
perruques, outils de fortune,
Aux
autres clowns, il donnait tout ça.
Sous
le chapiteau, entre deux numéros,
Sans
costume spécial, calme et discret,
Portant
parfois bonnet d'âne en chapeau,
Au
milieu de nous, il surgissait.
C’est
qu’on est gaté de pitres chez nous.
On
a soif de rire, prompt à payer,
On
crie:” c’est un clown, ça, des clous
Si
c’en est un, on doit rigoler”
On
est comme ça. Et pendant qu'on braillait :
"Si
tu es en piste, alors sois amusant !"
Pendant
ce temps, du coeur, il nous ôtait
Notre
tristesse, insensiblement.
Ce
siècle est le vingtième. Le doute revient
Et,
bien sûr, notre cirque est mondial.
A
dire vrai, ce clown était chagrin,
Un
clown triste et pas vraiment jovial.
Lui,
impassible et comme avec froideur,
Sans
pudeur, en plein jour, à deux mains,
Volait
nos peines dans les poches intérieures
De
nos âmes revêtues de pourpoints.
Estomaqués,
nous, alors, on riait,
A
s'en briser les paumes, le bissant.
Rien
d'amusant dans ce qu’il faisait.
Il
prenait sur lui notre abattement.
Oui,
mais, en badinant, en jacassant,
Notre
mime était endolori :
Il
le prenait pour lui personnellement,
Le
poids de la tristesse d'autrui.
Le
clown pliait sous le cercle de lumière,
Peines
accablantes et lourdes au pesage.
Ses
pantomimes se faisaient plus amères
Et
les rides plus profondes au visage.
Mais
nos alarmes, malheurs et accidents
C'est
lui qui les puisait par poignées
Comme
pour gommer nos douleurs d'enfantement.
Mais
pour lui, rien pour se protéger.
Nous,
on riait, des souffrances, soulagé.
A
cette époque, nous étions très gais.
On
nous a gentiment dévalisés.
On
nous a pris ce qui nous gênait.
C’est
l’heure ! Et, les genoux cassés,
Il
sortait, en pensant ce qu'il voulait.
Le
clown, alors, sur la piste, a gagné
Mais
aussi, au-delà, triomphait.
Bon
génie, il a emporté nos péchés
En
coulisses. On s'amusait beaucoup.
Tel
un essaim, ces instants volés
Se
sont concentrés en lui d'un seul coup.
Bougies
éteintes par centaines de milliers,
Roulement
de tambour, puis, plus rien.
Sur
ses épaules, il avait trop chargé
De
nos peines et s'est brisé les reins.
Les
spectateurs (et les artistes parmi eux)
Ont
pensé : "Tiens, un ivrogne par terre !"
Dans
la dernière pantomime de son jeu,
Le
clown avait voulu trop en faire.
Il
a stoppé, pas au diable Vauvert,
Près
de nous, comme couché, fatigué.
Le
clown a trop absorbé nos misères
Et
ses forces n'a pas su calculer.
J’ai
toujours marché tout droit sans répit.
Mais
j’ai pu me pencher devant le mime.
C'est
la Mort, la reine des pantomimes.
Coupant
les entraves aux genoux, ce voleur
Ne
volait pas les chevaux, la nuit.
Le
clown est mort. Il était chapardeur
Des
minutes malheureuses d'autrui.
Par
vantardise, beaucoup chez nous ont dit,
En
résistant: “ On vivra comme ça !"
Le
clown alors s'approchait sans un bruit,
Par
derrière, en silence ... hop ! voilà !
Il
a péri, comme si le vent l'emportait.
Ou
bien est-ce plaisanterie de zigoto ?
Moi,
je n'ai inventé que son bonnet.
Ce
clown-là n'avait pas de chapeau.
1972
78. LE
FUNAMBULE
Il
n’a ni titre, ni stature exceptionnelle.
Ni
pour l'argent, ni pour la gloire,
A
sa façon peu ordinaire,
Il
marchait dans la vie sur une passerelle,
Sur
un fil noir, sur un fil noir,
Tendu
à mort comme un nerf
C'est
lui, regardez-le,
Il
marche sans filet.
Qu'à
droite, il penche un peu :
Et,
de lui, c'en est fait.
Qu'à
gauche il penche un peu
Et
c'est le même destin.
Mais,
sans doute, se doit-il, jusqu’à la fin,
De
faire les quatre quarts du chemin
Les
projecteurs le faisaient trébucher
Et,
comme des lauriers, lui faisaient mal.
La
trompette se rompait comme à l'attaque.
Les
cris et les bravos l'assourdissaient
Et
les cymbales, et les cymbales,
Comme
sur la tête un coup de matraque.
C'est
lui, regardez-le,
Il
marche sans filet
Qu'à
droite, il penche un peu :
Et,
de lui, c'en est fait.
Qu'à
gauche il penche un peu
Et
c'est le même destin.
Maintenant,
il ne lui reste plus, jusqu’à la fin,
Que
faire les trois quarts du chemin
Que
c'est terrible et beau, comme c'est charmant
Ces
trois minutes contre la mort !
Bouches
ouvertes et guettant le péril,
Du
parterre le regardaient tristement
Des
nains partout, toujours, encore,
Lui
semblait-il, sur son fil.
C'est
lui, regardez-le,
Il
marche sans filet
Qu'à
droite, il penche un peu :
Et,
de lui, c'en est fait.
Qu'à
gauche il penche un peu
Et
c'est le même destin.
Mais,
attention, il faut aller jusqu’à la fin
Et
faire la moitié du chemin.
Il
riait de la gloire imbécile.
Sa
place à lui, c'est la première.
Tu
peux toujours essayer de l’arrêter !
A
vrai dire, il marchait non sur un fil
Mais
sur les nerfs, mais sur nos nerfs
Par
le tambour exacerbés.
C'est
lui, regardez-le,
Il
marche sans filet.
Qu'à
droite, il penche un peu :
Et,
de lui, c'en est fait.
Qu'à
gauche il penche un peu
Et
c'est le même destin.
Mais,
taisez-vous, il reste pour tenir jusqu’à la fin
Encore,
encore un quart du chemin.
Le
dompteur a eu le temps de pousser un cri.
Les
fauves posent la patte sur la civière.
Le
verdict est tombé‚ simplement.
Etait-il
distrait ou trop sûr de lui ?
Mais
dans la sciure et dans la poussière,
Il
a versé ses larmes avec son sang.
Et,
aujourd'hui, un autre
Avance
sans filet,
Un
mince câble sous les pieds.
Il
tombera, c’est un fait.
Qu'il
penche à droite, à gauche,
Et
c'est le même destin.
Lui
aussi, il ressent l'irrésistible besoin
De
faire les quatre quarts du chemin.
1972
79. LE GRAND NORD
Chanson du film "72
degrés en-dessous de zéro"
Toutes époques, toutes
années, tous siècles mélangés,
Tout tend vers la chaleur
et fuit vent et froidure.
Pourquoi vers le grand
nord, ceux-ci vont-ils s’envoler
Alors que les oiseaux
sont supposés aller au sud ?
Ils n’ont nul besoin de
gloire, de grandeur.
Et le bout de leurs ailes
est laqué par la glace.
Et, oiseaux, d’oiseaux
ils trouvent leur bonheur,
Comme juste récompense de
leur audace.
Qu'est-ce qui nous
empêchait de vivre, de dormir ?
Qui donc nous a jetés sur
la route aux dangers ?
Les aurores boréales sont
encore à venir
Elles se produisent
rarement : elles sont recherchées !
Silence. Seules des
mouettes telles des éclairs.
On leur donne à manger
dans la main le néant.
A notre silence, en
récompense, c’est clair,
Il y aura un son
inéluctablement.
Cela fait si longtemps
que nous rêvons en blanc,
Toutes les autres teintes
de la neige se sont fondues.
Nous sommes aveuglés de
blancheur depuis longtemps,
Par ses bandes noires, la
terre nous redonnera la vue.
Lors, notre gorge
s’affranchit du silence.
Comme une ombre fondra
notre fragilité.
En récompense à nos nuits
de désespérance,
Nous aurons le jour
polaire dans son éternité.
Grand nord, espoir,
liberté, pays sans limites,
Neige sans boue, comme
une longue vie sans mensonge.
Le corbeau n'ira pas nous
caver les orbites
Car, à venir ici nul
oiseau de proie ne songe.
Celui qui ne croit pas
aux prophéties ridicules,
Ne s’allonge pas dans la
neige, une seule seconde, *
Verra, en récompense de
sa solitude
Quelqu’un venir à sa
rencontre.
1972
* le froid a un pouvoir
anesthésiant : à rester allongé dans la neige, on somnole rapidement et
l'on s’endort.
80. LES HOMMES SONT
PARTIS
Chanson du film "
L'instant de vérité "
C'est ainsi, tous les
hommes sont partis,
Ont quitté les semailles
en avance,
Des fenêtres, on ne voit
plus leur présence,
Dans la poussière des
chemins, évanouie.
Et les grains tombent des
lourds épis,
Larmes des champs qui ne
sont pas moissonnés,
Et les vents froids,
diligents et coulis,
Dans les fentes se sont
coulés.
Pressez vos chevaux, nous
vous attendons,
Bonne route, bonne route,
bonne route !
Que les vents ne vous
soient pas contraires mais propices,
Et revenez plus vite dans
vos maisons !
Vos rires leur manquent
sans doute,
Car le saule pleure et
les sorbiers se dessèchent, se ternissent.
Dans la chambre, tout
là-haut, nous vivons,
Nulle issue à quiconque
dans ces appartements,
Seuls l'espérance et
l'isolement
Ont pris votre place dans
les maisons.
Elle a perdu son charme
et sa grâce,
La blancheur des chemises
aux penderies,
Même les chants anciens
nous agacent,
Ils sont d'un mortel
ennui.
Pressez vos chevaux, nous
vous attendons,
Bonne route, bonne route,
bonne route !
Que les vents ne vous
soient pas contraires mais propices,
Et revenez plus vite dans
vos maisons !
Vos rires leur manquent
sans doute,
Car le saule pleure et
les sorbiers se dessèchent, se ternissent.
Nous souffrons de la même
affliction,
Chaque jour, toujours
plus lancinante,
L'éternelle déchirure se
lamente
En écho aux anciennes
oraisons.
Hommes à pied, hommes à
cheval, revenez,
Epuisés, estropiés, mais
vivants,
Que le vide des avis de
décès
Ne soit pas nos seuls
pressentiments.
Pressez vos chevaux, nous
vous attendons,
Bonne route, bonne route,
bonne route !
Que les vents ne vous
soient pas contraires mais propices,
Et revenez plus vite dans
vos maisons !
Vos rires leur manquent
sans doute,
Car le saule pleure et
les sorbiers se dessèchent, se ternissent.
1972
81.
JE VOUS ECRIS
Merci
à vous tous qui voulez correspondre,
Etudiants,
ouzbeks ou ouvriers.
Tous
ceux à qui je n’ai pu répondre,
Que
Dieu vous garde, vous et votre courrier !
Que
Dieu vous donne deux vies,
Un
ami véritable,
La
clarté de l'esprit,
Tout
le bien souhaitable.
Vous
avez trouvé des bandes cent fois usées.
Strophe
par strophe, mon râle, vous l'avez compris.
Que
Dieu vous accorde, mes chers épistoliers,
Le
succès, et, dans les bras, de l'énergie.
L'un
m'écrit que ma voix mue tout le temps,
Tantôt
sourde, ou bien rauque, ou elle énerve,
Et,
dans les faubourgs, ils me demandent, les gens :
"Volodia,
tu ne chantes pas de requiems !"
Que
faire si je ne sonne pas gai.
D'autres
savent tinter. Moi, les mots, je les râle.
L'abondance
de bandes de mauvaise qualité
Me
nuit plus que la rumeur générale.
D'autres
demandent : "As-tu été prisonnier ?"
Je
n'ai fait aucune guerre, jamais de la vie !
Je
vous remercie, mes chers épistoliers,
De
m'avoir vraiment aussi mal compris !
Viennent
de la mer, de l'usine ou des prés.
Je
vous remercie de m'avoir envoyé
De
méchants vers, parfois franchement mauvais.
Maintenant
je lis : "Mais tu es démodé!
Crève
donc, sale type ! Roquet ! Dégage de là !
Que
c'est bête d'avoir pendant tellement d'années
Porté
aux nues quelqu’un comme toi !"
Une
lettre encore : "Vous êtes mort de vodka !"
C'est
vrai, mort et ressuscité en plus!
"Et
vos revenus, hein ? Vous avez de quoi !
A
trois roubles la chanson, mais vous êtes Crésus !"
Pour
des lettres de ce style hautement poli :
« Allez
voir sur la Tamise, si j'y suis,
Ou
le Nil ! » Merci, mes bons amis, merci,
De
n'avoir ménagé l'encre, ni les nuits !
Mais,
sur la Tamise, j'y suis déjà allé.
J'ai
trôné sur la Seine tout comme un chien.
Je
réponds comme eux, je ne suis pas grossier.
Je
n'ai pas lu leurs lettres jusqu'à la fin.
Et
sachez que vos louanges, vos compliments,
Vos
flatteries, je ne les repousse pas du pied.
Vos
lignes, vos lettres, mes chers correspondants
Redressent
la route, assèchent les bourbiers.
Vous,
marins, intellectuels et sergents,
Pas
de réponse pour chacun, pardonnez m'en !
Je
vous écris des chansons, mes correspondants,
La
nuit venue, depuis bientôt dix ans.
1972
82.
LEUR ORNIERE
C'est
de ma faute. Je me désespère,
Je pleure beaucoup.
Je
suis tombé dans une ornière,
Au
fond du trou.
Je
choisissais tout seul avant
Ce
que je voulais faire,
Mais
je n'arrive pas dorénavant
A
fuir l'ornière.
Comme
elle en a des bords glissants,
Cette
ornière où je suis maintenant.
Je
maudis ceux qui l'ont creusée,
Bientôt
ma patience va éclater.
J’énumère
comme le cancre vulgaire
Ma,
ta sa, notre, votre, leur ornière.
Pourquoi
alors, ça ne me convient pas ?
Quel
fanfaron !
Car
pour l’environnement, ma foi,
Somme
toute, c’est bon.
Personne
ne tiraille, pas de coups bas,
Nul
ne gémit.
Tu
veux avancer ? Vas-y, mon gars,
Je
vous en prie !
Pas
de refus du gîte, ni du couvert,
Dans
cette confortable ornière.
Ça
me paraît être une raison suffisante.
Il
n’y a pas que moi qui m'en contente.
Roues
dans roues, on ne dévie pas d’un pouce !
Et
j'irai là où les gens me poussent.
Mais
il y en a un qui crie, voilà :
"Je
veux passer"
Et
qui commence, oh, le bêta,
A
critiquer.
Voilà
ses soupapes et sa culasse
Qui
disent amen,
En
discutant, il épuise sa
Chaleur
humaine
Il
a usé les bords de l'ornière
Et
elle s'est élargie, c'est clair.
Mais
sa trace à lui disparaît soudain.
Des
gars l'ont poussé dans le ravin
Pour
qu'il n'empêche pas, nous autres derrière,
D'avancer
dans l'étrange ornière.
C'est
moi maintenant qui suis en panne :
Plus
d'allumage.
J'avance
par à-coups, tu parles
D'un
voyage !
Il
faudrait sortir, tout soulever,
Pas
d’énergie.
Sans
doute quelqu’un va s’approcher
Me
sortir d’ici….
Pas
un coup de main. J'ai attendu
Au
fond de l'ornière inconnue.
Au
fond de cette ornière inconnue.
Et
comme je suis tout seul à la creuser,
Chez
les autres, l’espérance, je l’ai tuée.
Je
suis trempé de sueur et j'ai
Dû
prendre froid
Mais
j'ai avancé assez
Sur
des bouts de bois.
Au
printemps, les rus envahirent
La
clairière.
Il
y a peut-être moyen de sortir
De
l'ornière.
Ca
y est ! Mes pneus crachent la boue
Au
fond de l'ornière, au fond du trou.
Eh,
vous qui suivez, faites comme moi !
Mon
ornière à moi, ce n'est pas pour les autres !
Je
veux dire : "ne me suivez pas !"
Vous
n'avez qu'à vous faire la vôtre.
1972
83. MICHKA SCHIEFFMANN
Michka Schiefmann, il a de l’esprit,
D’un coup, il a une
vision:
«Qu’est-ce qu’on voit,
qu’il me dit
A part la télévision ?
Tu regardes un concours à
Sopot*
Et tu avales la poussière
Et n’importe quel oiseau
A son visa pour Israël !»
Michka aussi m’a
communiqué
En route pour la banlieue
:
«Golda Meir, je l’ai
chopée
A la radio, et par
hasard »
Et tellement qu’il
racontait,
Comme c’était joli d’y
vivre,
Que pour un peu j’allais
tomber
Dans les pattes de Tel
Aviv.
Au début, je n'étais pas
saoul,
J'ai répondu par deux
fois :
«Moshé Dayan, entre nous,
N’a qu’un oeil, il est
sournois.
Agressif, c’est un
vaurien,
Un vrai pharaon.
Mais l’agression, d’où
c’est qu’elle vient,
Je n’en ai pas la moindre
notion.»
Il ne tombe pas en
extase, Michka,
Après avoir bu un litre.
Et il dit : «tu sais
bien, mon gars,
Qu’ils nous ont chassés
d'Egypte,
Pardonner un tel
affront :
Alors là, il n’y a pas de
risque.
Je veux aller laver la
honte
Avec la naissance du
Christ»
Michka me prend par le
bras,
«J’ai besoin de compagnie
!
On n’est pas seulement,
toi et moi,
Bonjour, bonsoir, on est
amis.
On se baladera comme des
pèlerins,
On aura le cœur à vide.
La banlieue, on s’en
fiche bien.
Allons à Tel Aviv !»
Je lui dis: «ça,
c’est tout moi,
Tu m’as sauvé une fois du
port.
Mais, il y a un hic,
vois-tu là,
Moi, je suis russe sur le
passeport.
On est russe de père en
fils,
Mon aïeul est de Samara.
Le plus juif de ma
famille,
Ce doit être ce Tatar-là.»
Michka Schieffmann, faut
pas le toucher.
De douter, il n’a pas de
raison :
Des Juifs, il en a une
flopée
A chaque génération.
Son grand-père
paralytique
Est un ex des blouses
blanches.
Chez moi, c'est
antisémite,
Antisémite, à chaque
branche.
Il est toubib, soudain il
reste coi.
En Israël, il fait vilain
temps :
Des gynécos, ils en ont,
tu vois,
Presque autant, que de
chiens errants !
Pour les dentistes, il
n’y a pas de futur :
Il n’y a pas assez
d'ouvrage.
Où trouver pour tous des
dentures?
Pour ça qu’il y a du
chômage.
Mon Michka crie : «On y
va,
Les visas, qu'à cela ne
tienne
Au moins, la mer, par
là-bas,
Elle est israélienne».
Le Michka, quand il a le
blues
Il vaut mieux être de son
bord.
J'ai bu encore un petit
coup
Et je lui ai dit :
«D'accord».
Dans le bureau, le rang
est long.
Oh, au moins cent
personnes.
A Michka, on a dit :
«Non»,
Et à moi, on me le donne.
Il dit: «Il y a eu erreur,
C'est moi le Juif, ici»
On lui répond : «Et ta
sœur ?,
Dégage, tu nous ennuies.»
Une question torture
Micha :
«Qui c'est l'ennemi
intérieur ?»
La réponse est simple;
mon gars
Il n’y en a pas deux,
d’ailleurs.
Je suis ok, je crache
trois fois.
Michka, à la vodka, il
trinque.
Il dit qu’il a pas eu le
visa
A
cause de la rubrique 5.**
1972
Notes :
* : ville près de
Gdansk où l'on organise chaque année depuis 1961 un concours international de
la chanson de variété
** : La rubrique 5
sur les formulaires concernait la nationalité des parents. C’était souvent,
paraît-il, un motif de refus.
84.
MON HAMLET
Bien
peu de vers pour pouvoir m'expliquer !
Je
ne saurais avoir sur tout autorité....
On
m'a conçu, bien sûr, dans le péché,
La
sueur, les nerfs, une nuit de jeunes mariés.
M'arrachant
à la terre, je savais
Que
plus haut nous sommes, plus sévère l’on est.
Mon
destin de roi, calme, je le suivais
Et
me conduisais en prince héritier.
Tout
était à mon gré, je le savais,
Jamais
d'échec, d'aléa, de revers.
Comme
leurs pères la couronne, ils me servaient,
Mes
amis d'école, d’épée, mes frères.
Je
ne pensais pas ce que je disais,
Je
lançais mes mots comme ça, au vent.
Ils
m’ont cru et ainsi je commandais
Les
fils des gens haut placés, des puissants.
Les
gardiens de nuit nous épouvantaient.
Comme
de variole, les temps, de nous, souffraient.
Je
mangeais au couteau ma viande, dormais
Par
terre. Mon cheval, je l'éperonnais.
Je
savais qu'on me dirait de régner.
Le
destin m'avait marqué au front d’un sceau.
Enivré
dans les harnais ciselés,
J'acceptais
la rudesse des livres, des mots.
Je
savais sourire des lèvres seulement,
J’ai
su cacher mon regard cruel, sardonique,
Grâce
à un bouffon qui me l’apprend.
Le
clown est mort ! Amen ! Pauvre Yorrick !
J'ai
refusé le partage des trésors,
Privilèges,
butin, célébrité.
Soudain,
j'ai eu pitié du page mort
Et
je parcourais les vertes cépées.
L'instinct
de chasse me mettait en colère,
Je
détestais et meutes et coursiers.
Un
fauve blessé m'a fait faire marche arrière.
Rabatteurs
et veneurs, je les ai fouettés.
Jour
après jour, je voyais que nos jeux
Ressemblaient
davantage à des excès.
Dans
les eaux d'égout, la nuit, mystérieux,
Des
ordures du jour, je me nettoyais.
Jour
après jour, plus mûr, toujours plus bête.
Les
intrigues domestiques, je n’en avais cure.
L'époque
ne me plaisait pas, ni, en fait,
Mes
contemporains. Je plongeais dans la lecture.
Ma
tête, araignée avide de savoirs,
Concevait
tout : mouvement, inertie.
Bêtises
que les idées, les sciences, les arts,
Quand,
alentour, tout dit leur démenti !
Le
fil des amis d'enfance s'est coupé,
Le
fil d'Ariane, en réalité, un schème.
Par
« être ou ne pas être », j'étais stoppé
Comme
par un insoluble dilemme.
Eternelle,
la mer des malheurs bat sa cadence.
On
y lance nos flèches, glumes au tamis,
Vannant,
à chercher une réponse transparente
A
cette question quintessenciée, inouie.
L'appel
des anciens s'entend, étouffé.
Je
l'ai suivi. Les doutes venaient derrière.
Les
pensées lourdes vers le haut m'ont tiré.
Vers
le bas, la tombe ... les ailes de la chair.
En
alliage fragile, le temps m'a trempé.
A
peine refroidi, il s'émiettait.
J'ai
versé mon sang, comme tout le monde l'a fait.
La
vengeance, comme eux, je m'y suis résigné.
C'est
une chute, mon envol avant la mort.
Je
ne veux pas de pourrissement ! Ophélie !
Par
le crime, j'égalais celui, alors,
Avec
lequel, dans la même terre, je gis.
Je
suis Hamlet. La violence, je n'en veux pas.
Moi,
sur la couronne danoise, j'ai craché.
Mais,
à leurs yeux, je voulais être roi
Et
mon rival, je l'ai massacré.
Un
vrai délire, cette éruption géniale.
La
mort voit la vie comme une malfaçon.
Tous,
nous posons une réponse déloyale
Sans
jamais trouver la bonne question.
1972
85. NOUS FAISONS TOURNER LA TERRE
De la frontière, à reculons, nous avions fait tourner
La Terre, état initial.
Mais, notre commandant, à l'endroit, l'a relancé
En s'arc-boutant du pied sur l'Oural.
Et puis, on nous donna, enfin, l'ordre d'avancer,
De ramasser nos cliques et nos claques finalement.
On se rappelle. Sur ses pas, le soleil revenait,
Pour un peu, il se couchait au levant.
Nous ne mesurons pas la Terre de nos pas
En piétinant les fleurs inutilement,
Avec nos bottes, nous la repoussons comme ça,
Loin devant, loin devant.
Les meules de foin au vent d'est sont courbées,
Les bêtes se serrent au rocher, craintives.
Nous avons dévié l'axe de la Terre sans levier
En changeant la direction de l'offensive.
Qu'importe si le ponant s'est trouvé déplacé.
C'est un conte pour adultes, le Jugement Dernier.
Nos régiments de relève en marche font tourner
La Terre où bon leur semble, selon leur gré.
Nous rampons, enlaçant les taupinières,
Etreignant à contre-coeur les cailloux
Et du genou, on repousse la Terre
Loin de nous, loin de nous.
On ne pourrait trouver, ici, même en cherchant,
De gens levant en l'air les mains.
L'importance des corps est sensible aux vivants,
Comme boucliers, nous nous servons des défunts.
Ce plomb stupide trouvera-t-il à tout coup qui tuer ?
D'où viendra-t-il, de face ou de l'arrière ?
Aux avant-postes, quelqu'un là-bas s'est effondré
Et instantanément s'est figée la Terre.
Mes jambes, derrière, je les laisse traîner
Tout en pleurant les victimes du combat.
La Terre, de mes ongles, je la fais tourner,
Loin de moi, loin de moi !
Quelqu'un s'est mis debout, fit un salut profond.
Une balle stoppa d'un coup son geste.
Mais vers l'ouest, vers l'ouest rampe le bataillon
Pour que le soleil se lève enfin à l'est.
A plat ventre dans la boue, dans l'odeur des marais,
Nous fermons les yeux aux puanteurs infectes.
Le soleil se déplace normalement, désormais,
Parce que nous fonçons vers l'ouest.
Nos pieds, nos mains sont-ils en place ? Vraiment ?
Comme à la noce, on boit la rosée à petits coups.
Avec l'herbe, nous tirons la Terre de nos dents
Droit sur nous, de dessous, loin de nous !
1972
86. LA PERMISSION
Chanson du film «Une fois
seul »
J’ai parcouru prés de la
moitié de la terre,
Debout et sur le ventre
dans les combats
Et, pour services rendus,
par convoi sanitaire,
On me ramène vers
l’arrière jusque chez moi.
On me dépose sur le seuil
natal,
En camion, juste devant
la maison.
J’en suis resté muet: une
fumée anormale
Sur le toit s’élevait de
curieuse façon.
Les fenêtres semblaient
craindre d'oser me regarder.
On n’est pas heureux de
revoir le soldat.
Ma femme, sur mon torse,
en larmes, ne s’est pas jetée.
Elle joint les mains,
puis rentre dans l’isba.
Puis les chiens, dans les
chaînes, ont hurlé.
J'ai avancé dans
l'obscurité.
Dans une chose pas à moi,
je me suis pris les pieds,
J'ai ouvert. J’en ai eu
les jambes coupées.
A ma table, à ma place,
il y avait, bien assis,
Un nouveau maître de
maison peu aimable.
Et il portait ma veste,
ma femme près de lui.
C’est pourquoi les chiens
aboyaient, que diable.
C’est dire pendant que
j'étais sous le feu,
Que je courais sans une
minute de gaîté,
Il a mis ses affaires
chez moi et peu à peu,
A son goût, il a tout
arrangé.
On marchait avec Dieu,
avec le dieu de la guerre,
L'artillerie nous a bien
protégés.
Mais la balle mortelle
m'a atteint par derrière
Et dans le cœur, par
traîtrise, m'est restée.
Courbé à angle droit,
j'ai salué,
J'ai fait appel à ma
volonté :
"Camarades, je suis
revenu, excusez,
Par erreur, sur un seuil
étranger.
Je vous souhaite paix,
amour et du pain sur la table,
Que la paix règne dans
cette maison".
Il n’a pas prêté
l’oreille, il était peu affable,
Mais, sans doute, il
avait ses raisons.
Le parquet non repeint a
tremblé.
Comme tantôt, la porte,
je ne l'ai pas claquée.
Les fenêtres se sont
ouvertes lorsque je m’éloignais :
Elles semblaient
coupables de me laisser.
1972
87. LES PONTS ONT BRULE
Les ponts ont brûlé, les
gués se sont creusés,
On ne voit que des
crânes, on est si serrés.
Les issues sont bloquées,
tout comme les entrées,
Il n’est qu'un chemin, de
la foule emprunté.
Comme des paires de
chevaux rompus au harnais,
Pour se prouver que le
monde est exigu,
Dans un cercle vicieux,
ils vont sans arrêt.
Le cercle est large et le
centre est perdu.
Sous la pluie s'estompe
la palette tombée.
Dans la polonaise, les
galops sont venus.
Ni parfums, ni fleurs, ni
rythmes, ni tonalité
Et même l'oxygène, de
l'air, a disparu.
Nulle folie ni
inspiration du reste
Jamais n'arrêtera ce
tournoiement.
Le mouvement perpétuel,
ne serait-ce
Que cette sempiternelle
marche en avant ?
1972
88. REVOLUTION A TIOUMEN
On ne croit pas seulement
aux dieux, dur comme fer !
Extraire le pétrole ne se
fera pas sans mal.
Car se libérer des fers
de la terre,
C'est le but des
révolutions non sociales.
Comme dans du beurre, le
trépan plonge dans le marais.
Le prince des ténèbres,
on le fera abdiquer !
Nous ferons une saignée à
la terre, oui, mais,
Ce sera, de fait, pour la
soulager.
Dans le cri des sirènes,
sous les treuils sifflants,
Pas mûrs pour les bravos,
on attend derrière.
Mais l'heure approche,
des grands changements
Et des situations
révolutionnaires.
Dans cette lutte, on n'a
pas d'ennemi de classe.
Seuls, sous terre,
s'entendent les courants pétroliers.
Mais les strates
résistent, les strates tenaces.
Toujours ces persistances
des vieilles mentalités.
Comme des bambous, les
derricks prospèrent.
Soudain, on a su cette
simple vérité :
On n'a pas de pétrole,
mais le sel de la Terre.
Et, à belles dents, le
sel, on l'a mangé.
Le pouls de la Terre
augmente. Son sol, on le blesse.
Ses forces s’amenuisent,
douleur indicible.
Le pétrole, de sa
matrice, lance un S.O.S,
Laissant échapper sa soif
d’être libre.
Soignant cette douleur,
nous, on observait
Dans l'éclat du cuivre et
le parfum des fleurs :
Ce n'est pas du sel de
cuisine, c'est vrai,
C'est des larmes d'hommes
et c'est de la sueur.
Les trépans s'enfoncent,
diamants dans l'abysse
Et le pétrole lance en
geysers les idées,
Devient l'énergie des
masses productrices,
Ceci au sens propre comme
au sens figuré.
Joie de la victoire,
n'éteins pas le flambeau.
Concasseur à sabots,
laisse le rythme aller.
On détourne dans l'Ob le pétrole
de trop
Tant que l'oléoduc n’est
pas installé.
Que faire quand ça coule
hors de l'orifice
Plus fort que les sources
où boivent les ovins,
Quelle révolution sans un
sacrifice
Qui plus est, sans un
sacrifice d'humains ?
Ils peuvent dire que je
juge légèrement
Mais cette idée fut pour
moi stupéfaction :
La théorie du "Grand
Bond en Avant"
A Tioumen a reçu sa
démonstration.
Que mes vers ne soient
qu'au tiers avérés,
Que je sois un peu faible
dans la démonstration,
Qu’importe, le pétrole
est libre, je dois chanter
Ici, à Tioumen, cette
nouvelle révolution.
1972
89.
LES VICTIMES DE LA TELE
La
Télé ! Accordez-moi une tribune, peut-être,
ça
s'entendra, comme ça, quand je hurlerai.
Ce
n’est pas une fenêtre, je ne crache pas par la fenêtre,
Plutôt
une porte qui donne sur le monde entier.
On
a chez soi un vrai tour d'horizon,
Repos
en Crimée, tempête et typhon,
Episode
sept du feuilleton, je peux manger,
Car
je n’ai vu aucun des six premiers.
J'ai
déjà fini la première bouteille,
Dans
le poste, ils plongent mais ce ne sont
que les entrées :
A
vingt heures, il y a "Allez les demoiselles"
En
petits tabliers, c'est à devenir cinglé !
J’ai
une maison et puis, j’ai la télé.
Je
suis malheureux de tout le malheur du monde.
Et
je respire l’atmosphère du monde entier.
Et
puis, je peux voir Nixon avec sa blonde.
Ah,
te voilà donc, chef d'Etat étranger,
En
tête à tête, yeux dans yeux, à un mètre.
Je
déplace un peu du pied le tabouret,
Avec
le Chef, me voilà en tête-à-tête.
Les
ouvriers de choc de l'usine à pain
Jusqu'à
vingt heures donnent dans la cuisson,
Puis
l'émission "Les petits gars", enfin,
Qui
tirent, qui sautent, c'est à y perdre la raison !
Si
tu ne regardes pas, ne sois pas éloquent
Ou,
pour le moins, de Dieu oublié.
Tu
ne sauras pas qu"On recherche des talents"
Et
tu ne sauras pas qui c'est qui est doué !
Tiens,
voilà le match de foot URSS-R.F.A.
On
est de la même pointure, Müller et moi.
Crampes,
chocs, entorses et ensuite interviews,
C’est
bien le règlement : ils ne peuvent pas boire un coup.
Puis
quelqu’un part concourir à Varna,
Il
me faut trois paies à moi pour y aller.
Heureusement,
revoilà "Les petits gars"
Qu'est-ce
qu'ils galopent ! C'est à devenir cinglé !
Comment
convaincre Nastia, cette entêtée,
Qui
veut le samedi qu’on sorte au ciné.
Elle
dit que je suis obnubilé
Par
cette boîte pour les dégénérés.
En
effet, c’est exact ! Je rentre chez nous.
Qu'est-ce
que je vois ? Nixon et Pompidou.
Je
prends une bouteille : Richard n’en veut pas une goutte,
Georges
à la tienne, le dernier pour la route !
La
réalité est encore plus chic que ça :
Au
quatrième litre, sur le balcon, j’ai vu
"Aux
demoiselles" et "Aux petits gars",
On
refile une prime à l’ONU.
Et
puis, ensuite, dans mon asile fermé
Où
c’est, hélas, assommant question service,
Je
continue à regarder la télé
Et
je manifeste pour Angela Davis.
J'écoute
-ne pleure pas- tout va dans la Taïga,
Il
est fini le match URSS-R.F.A,
Cent
misérables sont emmenés en prison,
Mahomaev
* chante avec des violons.
La
réalité est plus cauchemardeuse que ça :
On
a deux postes, vas-y, tourne les
boutons,
Avec
"Les demoiselles", avec "Les petits gars"
Pas
de danger qu'on y perde la raison !
1972
* Muslim
Mahomaev : auteur-compositeur pour enfants de 1962 à 1975 et baryton à
l’opéra de Bakou (Azerbaidjan) depuis 1977.
Pour moi, ma fiancée
pleurera d’émotion,
Et pour moi, les copains
règleront l’impayé,
Et pour moi, les autres
chanteront mes chansons,
Peut-être bien que mes
ennemis boiront à ma santé.
Les bouquins qu'on me
donne ne m'intéressent pas,
Ma guitare est sans
corde, je n’en ai même pas une,
Je n'ai pas droit à plus
haut, je n'ai pas droit à plus bas,
Je n'ai pas droit au
soleil, je n'ai pas droit à la lune.
Je n’ai plus de droit, de
liberté, soit,
Je peux juste aller de la
porte au mur,
C'est interdit à gauche,
c'est interdit à droite,
Juste un morceau de ciel,
juste un rêve qui dure.
Rêve de ma sortie, le
cadenas enlevé,
Ma guitare que l’on va me
redonner.
Qui va donc m'accueillir
? Comment serai-je embrassé ?
Et quelles chansons
va-t-on me chanter ?
1963
90. BANQUET DE FIANÇAILLES
Chez
les voisins, c'est festin de roi,
Et
les convives font le poids.
Et
la voisine, raide comme la loi,
Descend
au cellier.
Cadenas,
clés, bruit de ferraille,
Elle
sort les paniers de victuailles,
S’affaire
près du poêle en émail,
Tire
le cendrier.
Et
moi, ce n’est pas les ennuis qui me ménagent :
Mon
potager ne donne rien, le bétail diminue,
C’est
le poêle qui fume à cause du mauvais tirage
Ou
j’ai la joue qui gonfle tant et plus.
Là-bas,
ils ont de la viande dans leur soupe,
Le
village résonne du bruit de leur bouche.
Couverte
d'acné, ça ne fait pas de doute,
La
fiancée est mûre.
Ils
veulent en mettre plein la vue, les bougres.
Par
invité, au moins cent roubles.
Le
fiancé maigrichon se trémousse
Et
chante en mesure.
Tirant
leur chaîne, mes chiens se mettent à hurler,
Au
milieu de la nuit, soudain comme des loups.
J'ai
des ampoules grosses comme des oeufs aux pieds
A
piétiner le parquet de bout en bout.
Chez
les voisins, comme on boit vite !
Pourquoi
ne pas boire si on t'invite
Et
pas chanter, si c'est gratis,
Si
on se sent comme chez soi ?
Ma
femme enceinte a ses humeurs,
Mes
oies n’ont pas mangé à cette heure.
Il
s'agit bien de ces oies de malheur.
En
somme, rien ne va.
Et
puis, chez moi, il y a des cafards par milliers,
Comme
un damné, je leur tape dessus, mais peine perdue.
J'ai
un furoncle qui m'est sorti, je ne peux plus me lever.
Faudrait
bêcher mais même assis, je ne pourrais plus.
Voilà
le voisin qui est venu me chercher.
C'est
par pitié qu'il m'a appelé.
Ben,
moi, pour sûr que j'ai refusé.
Le
voilà qui remet ça.
"Un
litre, qu'il dit, tu vas le siffler".
Et
comme de juste, ça m'a calmé
J'y
suis allé, j'ai bu, mangé,
Sans
trop de résultat.
Et
au milieu de cette frénésie,
Je
susurre en douce quelque chose au fiancé :
En
coup de vent, le voilà qui s'enfuit.
La
fiancée est en larmes sur le palier.
Le
voisin hurle: “le peuple c’est moi”.
Il
se dit respectueux de la loi :
Que
si tu ne manges pas, ben, tu ne bois pas,
Et
il vide son verre.
Tout
le monde sursaute, se retourne déjà,
Mais
vient le reprendre alors un gars :
"Celui qui ne travaille pas, il ne mange pas,
Tu
confonds, petit père".
Je
reste assis, une morue dans le veston,
Pour
chasser demain ma future gueule de bois,
Tenant
dans mes bras mon vieil accordéon :
C'est
lui qu'on a invité plutôt que moi.
Le
voisin a bu son deuxième litre.
L'air
abruti, regarde par la vitre,
Tout-à-coup,
il veut que je fasse le pitre :
"Ben,
pourquoi qu'on trinque ?"
Voilà
soudain qu'on me prend par le bras,
Deux
solides, deux fiers-à-bras :
"Joue
donc et chante, vas-y, mon gars !"
Sinon,
on t'esquinte"
Déjà,
l'ambiance au point de non-retour,
Déjà,
la promise qui se cuitait en douce,
Et
je chantais, je chantais les beaux jours,
Quand,
comme facteur, je me la coulais douce.
Puis
après la soupe de brochet,
Il
y a eu des abattis de poulet.
Puis,
on a attrapé le fiancé,
On
l'a longtemps battu.
Puis
on est allé dans l'isba
Danser,
puis, faire un pugilat
Et,
de nos amitiés, on a
Fait
la croix dessus.
Et,
dans mon coin, un litre de gnôle en main,
Tour
à tour mauvais, riant, gémissant,
Je
pense soudain : "Avec qui je boirai demain
Parmi
ceux avec qui je bois maintenant ?"
Au
petit matin, tout est serein,
On
se cale les joues d'un morceau de pain,
Sans
gueule de bois, entre deux vins,
Des
vivres, il y en a des tonnes.
Personne
ne vous aboie dans le cœur.
Le
chien se morfond pendant des heures,
Le
poêle en émail de couleur,
Le
cendrier fonctionne.
Et
moi, même lorsque le temps est au beau,
J'ai
le blues à l'âme qui se consume à outrance,
Je
bois l'eau du puits, je nettoie comme il faut
Mon
accordéon et ma femme me tance.
1973
91. LE BOUC EMISSAIRE
Dans une réserve, je ne
sais plus trop où,
Il était une fois un
bouc, cornu comme pas un,
Il ne hurlait pas, bien
qu'avec des loups,
Mais bêlait des chants
parfaitement caprins.
Il paissait dans l'herbe
verte et s'engraissait les côtelettes
On ne l'entendait jamais
dire un mot cru.
Il était aussi utile que
du lait de bouc peut-être
Mais, de lui, pourtant,
pas d’ennui non plus.
Il paissait chez lui,
auprès d'un étang
Sans empiéter sur les
terres étrangères.
On le remarqua, ce bouc
hésitant
Et il fut choisi comme
bouc émissaire.
Par exemple, l'ours,
braillard et voyou,
Joue à un quidam un vrai
tour de cochon.
Vite, on cherche le bouc,
on le frappe, on le secoue,
On le cogne sur les
cornes et entre, pour de bon…
Il ne s’opposait pas à la
violence ni au mal, ce bouc gris.
Il prenait les coups,
joyeux et fiérot,
Et l'ours lui-même dit :
"Les gars, je suis fier du bouc, pardi,
Cette gueule de bouc est
un vrai héros."
Ils soignaient le bouc
comme un héritier.
Il fut interdit, comme
chose nécessaire,
Sur le territoire de
cette forêt,
De laisser partir le bouc
émissaire.
Le bouc s'amusait à ses
sauts de cabri
Mais il commença à se
dévergonder.
Un nœud à la barbe, en
catimini,
Un jour, il traita le
loup de saleté.
La dernière fois qu'il
reçut son habituelle raclée
Parce que les loups
avaient trop joué des dents,
Par pur hasard, comme un
ours, il s'était mis à grogner,
Mais personne alors ne
nota l'incident.
Tandis que les fauves se
battaient entre eux,
Dans toute la réserve,
s'imposa l'idée
Que le bouc émissaire
était plus précieux
Que tous les renards et
les ursidés.
Le bouc entend ça et
croit que c'est vrai.
"Eh, les noirs et
blancs, eh, les bruns, qu'il crie,
Votre ration de loups, je
vais vous l'enlever,
Vos privilèges d'ours,
sachez que c'est fini.
Ma véritable "tête
de bouc", je vais enfin vous la montrer
Je vais vous disposer
dans ma hiérarchie,
Je vous ferai tourner sur
mes cornes, et c'est moi qui vous placerai
Et je vous décrierai dans
le monde ainsi.
Sans être pardonné,
chacun crèvera,
Chacun d'entre vous va
manger de la terre !
Pour la rémission des
péchés, c'est moi
Qui jugerai, je suis le
bouc émissaire ! "
Dans une réserve, je ne
sais plus trop où,
C'est le bouc qui mène le
bal comme avant.
Il vit et il hurle avec
tous les loups,
Comme les ours, il
grogne, ce bouc, maintenant.
Remontant les manches,
les cabris se sont enhardis
Jusqu'à arracher des
poils aux louveteaux.
Pourquoi se gêner
maintenant si leur chef est investi
Du pouvoir par le roi des
animaux !
Il sent soudain, que ses
cornes sont acérées
Et une inspiration du
bouc apparaître.
Les gloutons, les ours,
ils les a changés,
Les renards, les loups itou,
en boucs émissaires.
1973
92. LE CIRQUE CONJUGAL
- Regarde, Ivan, vise les
clowns, leur visage,
On leur recoudrait le
museau ...
Ivan, tu as vu, mais tu
as vu le maquillage ?
Et leur voix, comme des
alcoolos.
Celui-là, il ressemble, Ivan, pas vrai,
Au beau-frère, le même
assoiffé,
Hein, comment non ? Mais
il faut regarder.
Ivan, c’est vrai !
- Ecoute, Zina, laisse
mon beau-frère, tu veux,
C'est un parent, même
s'il est ce qu'il est.
Cigarettes et rimmel, tu
ne vaux pas mieux,
Si tu me cherches, tu vas
me trouver !
Zina, au lieu de
bavarder,
A l’entr’acte va donc au
magasin.
Quoi ? Tu n’iras pas ?
Bon, ben, j'irai,
Pousse-toi un brin.
Regarde, Ivan, les drôles
de nains !
C’est du jersey, pas de
la cheviotte.
Chez nous, à la fabrique
N°5,
Ça ne risque pas qu’on
couse de la sorte !
Et toi, Ivan, non, mais
tu vois
La dégaine des copains
que tu as.
Avant le jour, ils
boivent déjà,
Et quel jaja !
Ils sont peut-être pas
habillés de tergal, mes amis,
Mais ils ne prennent pas
l’argent de la maison,
S'ils boivent des
cochonneries, c'est par économie,
Dès le matin, c’est vrai,
mais c'est leurs ronds.
Zina, tes copines passent
leur temps
A se tricoter des
galurins.
Avec leurs binettes qui
suent l’ennui
Tu t’abrutis !
- Regarde, Ivan, tu as vu
les perroquets !
Je vais hurler de rire,
nom de delà.
Qui c'est, celui-là, en
maillot, maigrelet ?
Ivan, j'en voudrais un
comme ça.
Pas vrai, Ivan, en fin de
trimestre,
Tu m’en bricoleras un,
vraiment ?
Ben quoi,
"arrête" ? Toujours "arrête",
ça devient vexant !
- Tu ferais mieux de te
taire, je crois,
Ma prime, elle est passée
à l'as.
Au boulot, tu as écrit
pour te plaindre de moi.
Ne mens pas, j'ai vu ta
paperasse !
Et puis, ce maillot que
tu me montres
Si tu le mettais, ça
serait la honte.
Il en faudrait dix toises,
je me trompe ?
Tu as fait les comptes ?
- Ivan, les acrobates! Je
meurs de peur
Vois comme il tourne !
Gonflé, le gars !
Camarade Satikov, notre
directeur,
Au club, il galopait
comme ça.
Ivan, tu rentres à la
maison,
Tu manges et tu t’affales
sur le divan,
Ou bien tu pestes quand
tu n’es pas rond
C'est vrai Ivan,.
- Zina, tu me pousses à
dire des grossièretés,
Tu cherches toujours à
vexer les autres !
Tu fais des pirouettes
toute la journée,
Tu rentres chez toi, ben
là, tu te poses !
Et puis, faut dire, bien
sûr, Zina,
J’ai toujours envie de
faire des achats,
Mais c'est parce qu’il y
a mes potes là-bas,
Tout seul, je ne bois pas
!
- Et la gymnaste, tu as
vu comme elle excelle,
Elle a des heures de vol
pourtant.
Dans notre salon de thé
“l’hirondelle”,
La serveuse en fait
autant.
Et Lisa, lors du
déménagement,
La caissière du Parc de
Culture,*
Tu lui as fait du
rentre-dedans
Mais elle, c'est vrai,
elle a de l'allure.
Au lieu de brailler, si
on allait
Pour les vacances à
Erivan ?
Pourquoi "arrête"
? Je ne peux pas parler ?
ça devient vexant.
1973
* Parc de la Culture et
des Loisirs Maxime-Gorki à Moscou.
93. L'ECHO FUSILLE
chanson du film «
Le seul chemin »
Dans le silence des cols
où le roc au vent n'offre pas de prise,
Pas de prise,
Sur ces escarpements où
ne s'est jamais risqué personne
-mais risqué personne,
Dans ces montagnes,
vivait insouciant un écho, un écho,
Qui, libre,
Ici, répondait à l'appel,
L'appel des hommes.
Et quand la solitude
comme une boule te noue la gorge,
Noue la gorge,
Que ta plainte étouffée à
peine audible bascule dans le vide,
Bascule dans le vide,
Ton appel au secours,
l'écho le soulève, le soulève,
De toutes ses forces,
L'amplifie et, avec soin,
de ses mains,
Il le guide.
Des hommes sans rien
d'humain, de drogue et de pavot enivrés,
Enivrés,
Pour faire cesser ce
vacarme de sabots et de chevaux qui se cabrent
-vaux qui se cabrent,
Sont venus faire taire,
assassiner le vivant, le vivant
Défilé,
Le ligotent, le
bâillonnent et de coups,
Ils le frappent.
Toute la nuit ont duré le
joyeux carnage et les coups,
Et les coups,
Mais on est resté sourd à
ses cris désespérés,
Cris désespérés.
Alors, au lever du jour,
ils ont fusillé, fusillé
L'écho.
Et jaillirent comme des
larmes des pierres de ses parois
Blessées
Et jaillirent comme des
pierres des larmes de ses parois
Blessées.
1973
94.
INSTRUCTIONS AVANT DE PARTIR A L'ETRANGER
ou
UNE DEMI-HEURE AU SOVIET LOCAL
A
la forge, hier, j’ai fini :
Deux
plans que j'avais étamés.
Et,
de l’usine, je bénéficie
D'un
voyage à l'étranger.
Une
douche, plus de cambouis, ni de sueur,
J’avale
en vitesse du poisson froid
Sur
ce qu'on peut faire et ce qu'on ne peut pas.
Chez
eux, pour l'heure, le niveau de vie est plus haut
Et
pour que je n'aille pas faire là-bas le zozo,
Il
me donne à lire une brochure de bout en bout,
Que
je n’aille pas vivre là-bas en andouille, comme chez nous.
Il
me parlait comme à un frère
De
l'Occident sans vergogne,
De
ces démocrates populaires,
A
Budapest, en Pologne :
"Ils
mènent un genre de vie curieux.
Nous,
on ne les comprend pas, en effet.
Essaie,
mon gars, un tant soit peu
De
leur montrer du respect.
Si
on te propose de la vodka, répliquer :
Détourne-toi
résolument de leurs cadeaux :
Des
bricoles comme ça, on en a des kilos"
Il
a dit : "tu auras la vie facile
Mets
de côté, mange des biscottes.
Attention,
ne fais pas l'imbécile,
Chez
les Tchèques, à Budapest,
Ils
peuvent dire : "buvez-mangez" et le reste
Mais
ils peuvent dire aussi "et... non"
Je
me promènerai sur le marché en Hongrie.
Les
Allemandes et les Roumaines, je leur souris.
"Les
belles démocrates, m’ont convaincu mes amis,
Ne
tirent pas des citoyens soviétiques un radis"
"Mais
cette engeance bourgeoise
A
la trace vous suit partout.
Et
les liens hors du mariage,
Il
faut les fuir par-dessus tout.
Leurs
espionnes au large torse
On
ne peut pas les mettre dehors.
Dans
ce domaine, tu leur rétorques
Qu’on
a déjà fini à cette heure.
Elles
peuvent opérer aussi, sous le manteau,
Prendre
le train, transformées en mecs costauds,
En
se bourrant de Semtex le bassin.
Tu
ferais bien de vérifier le sexe de ton voisin"
Et
je lui dis, voulant le piéger :
"C'est
que j'ai peur, moi, de faire une gaffe!
Sûr,
je vais me ramasser des baffes…"
Mais
l'instructeur est fin renard.
Sur
lui, tu te casseras les dents.
Et
le bourrage de crâne repart
Sur
le perfide Occident.
Je
m'en vais maintenant tout expliquer aux ignares :
C'est
à Budapest que je vais visiter les Bulgares.
Si,
là-bas, de questions on te presse, tu éludes.
Pas
de bagarres. Si c'est l'inverse, tu discutes !
De
leur langue, je ne sais un traître mot,
Ni
truc, ni machin, rien de rien !
Mais
j'emmène mon marteau :
Je
pourrai en convaincre plus d'un.
Zut,
je ne suis pas agitateur,
Je
suis chaudronnier de père en fils.
Je
n’irai pas à Oulan-Bator,
Chez
les Polonais, je m'en fiche.
Le
soir, près de ma femme, je ne trouve pas le sommeil :"Douss, eh, Douss,
Et,
si au lieu d'y aller, je me tirais en douce.
Je
connais que dalle de leur langage, comment jacter !"
Ma
Doussia dort comme un bébé,
Des
bigoudis plein les cheveux.
Elle
me répond toute ensommeillée :
"Colas,
ne te fais pas de bile, tu veux.
Tu
ne vas pas me dire que tu as les chocottes,
Sinon,
je divorce. Là, tu pousses,
Vingt
ans que nous vivons côte à côte,
Et
tout le temps "Douss, eh, Douss !
Oubliée,
bien sûr, ta promesse, on dirait,
Que
tu me ramènerais du Bengladesh une toile cirée.
Ne
râle pas et, avec quelques roupies mises à gauche,
Achète-moi
ce que tu veux, deux fois rien, mais quelque chose."
Je
m'endors, serrant la taille
De
Doussia, ma tendre moitié.
Je
rêve : je me forge une cotte de maille,
Un
écu et une épée.
Ils
se mesurent, là, à d'autres toises.
Et
je me mets à rêver de Hongroises
Avec
pétoires et toutes velues.
Et
de ces espionnes rusées du Bengladesh.
Je
préfère plutôt, à Dieu vat, les Roumains
A
ce qu'on dit, ils sont de la Volga : des voisins.
Voilà
bien la nature féminine !
Elle
m'accompagne en chantant.
Repassées,
toutes fraîches, s'entend.
Au
revoir donc, mon cher vieil atelier
Jusqu’au
dernier clou que je chéris !
Que
j'ai pulvérisées à l'envi !
On
a bu: dans mes veines, l'alcool fort qui toquait.
Sur
la route de l'aéroport, j'ai le hoquet.
La
passerelle. Dans mon dos, il y a quelqu’un qui aboie :
"Pour
qui donc que tu nous quittes, Nicolas ?".
1973
95. JE N'AI PAS SOMMEIL
Je veille, mais un songe
prémonitoire me tance.
J'avale des pilules,
espérant dormir.
Je ne m'habituerai pas à
devoir m'infléchir.
Les organisations, les
chefs, les instances
M'ont déclaré une guerre
ouverte, je pense,
Parce que j'ai rompu le
silence,
Hurlant, dans le pays
pour mettre en évidence
Que je ne suis pas un
simple rayon de roue !, pour dire
Que j’éprouve un malaise,
que je ne peux pas dormir,
Parce qu'à l'étranger,
lorsqu'ils veulent produire,
En émissions, mes
vieilles chansons de malfrat,
Ils considèrent devoir
s'excuser et prévenir :
"C'est sans son
accord, c'est nous, et caetera ... !"
Pour quoi encore ? Pour
mon épouse, peut-être: que, voilà,
Ben, il ne pouvait pas en
marier une vraie de chez nous ?
Que chez les
capitalistes, je me glisse à tout coup.
Qu'aller au fond, je n’en
ai pas le goût,
Que j'en ai écrit, et
plus d’une, des chansons,
Sur la lutte contre le
fritz que nous combattions,
Sur le soldat tombé sur
les fortifications,
Alors que, de la guerre,
je n’ai pas la moindre idée.
Ils crient que la lune,
je la leur ai volée,
Et que de leur voler
autre chose, je ne vais pas oublier.
Et les rumeurs derrière
les rumeurs vont courir.
Ah, je n'ai pas sommeil !
Pourquoi ne puis-je pas dormir ?
Non ! Je me saoulerai pas
! Je tendrai la main
Et d'une croix, je
réduirai mon testament à rien.
Sans oublier en même
temps de me signer.
Et j'écrirai une chanson,
et plusieurs, tiens,
Dans laquelle j’en
maudirai quelques-uns,
Mais je n'oublierai pas,
bien bas, de saluer
Tous ceux qui ont écrit
pour que je n’ose m’allonger!
Même si la coupe est
amère, je ne lâcherai rien.
1973
96. JE T'AIME MAINTENANT
Je t'aime maintenant
Pas caché, librement
A tes feux je me brûle,
pas hier, ni demain.
En pleurant, en riant,
Je t'aime maintenant.
Le passé, je n'en veux
pas, le futur, je n'en sais rien.
Aimer, c'est, au passé
Plus triste qu'un
mausolée
Bien que le poète des
poètes ait noté :
"Je vous aimais,
l'amour encore, qui sait, peut être ...
Synonyme de chute, de
défoliation,
Il y a, là, pitié, et
quelque dérision
Comme envers un monarque
qu'on a démis,
Pour ce qui a disparu,
une compassion
Ou une aspiration qui
manque d'impulsion
Et des "je
t'aime" auxquels on ne se fie.
Je t'aime maintenant,
Sans déboire, purement.
Mon âge, j'y tiens. Mes
veines, je ne vais pas les ouvrir !
A point nommé, dans la
durée, l'instant,
Je ne vis pas du passé,
le futur n’est pas mon délire.
A la nage ou à gué,
Coupe-moi la tête, j'irai
A toi, boulets pesants et
lourdes chaînes aux pieds.
Seulement ne fais pas
l’erreur de m'obliger,
Après "je t'aime"
à dire : "et je ne serai....".
Que d'amertume,
bizarrement, dans ce futur,
Diablerie ou d’un
faussaire la signature,
Issue de secours pour un
désengagement
Au fond du verre,
transparent cyanure
Ou comme une gifle au
présent qui dure,
La mise en doute que je
t'aime maintenant.
Je vois un rêve français
Pléthore de formes
conjuguées
Où le futur est différent
et le passé.
Au poteau de la honte, je
suis cloué,
A la barrière des langues
interpellé.
Ah, écart des parlers,
Qui rime avec
"loupé"
A deux cherchons l'issue,
et on va la trouver.
Je t'aime aussi dans les
temps composés:
Le présent-futur et le
présent-passé.
1973
97.
LE MONUMENT
J’étais
très svelte quand j’étais encore en vie.
Les
mots, les balles, cela ne m'effrayait pas,
Je
ne rentrais pas dans les cadres donnés.
C'est
vrai, mais depuis que je repose ici,
On
m'a courbé, on m'a rendu stropiat :
Au
piédestal, Achille est soudé.
Ma
chair de granit, je ne peux pas la secouer,
Ni
de la base arracher mes assises,
C'est
mon talon, mon talon d'Achille.
Et
l'armature de fer de mes côtes soudées
Dans
le ciment est mortellement prise :
Dans
mes vertèbres, seuls des frissons filent.
Je
me vantais de ma toise insolite,
Jaugez
encore !
Je
ne savais pas qu'on allait me rétrécir
Après
ma mort.
Dans
le cadre courant, je suis introduit :
Ils
ont gagné.
Ma
toise à moi, ma toise mal dégrossie,
Ils
l'ont redressée.
Et
quand, à décéder, je me suis décidé,
Un
masque mortuaire fut pris vivement,
Par
les membres de ma famille en hâte
Et
je ne sais pas qui leur a suggéré
De
dégauchir du plâtre complètement
Mes
pommettes haut perchées d'Asiate.
Je
n'aurais pas osé le rêver, ni le penser
Et
je croyais que ça ne me menaçait pas
De
paraître plus mort qu'un macchabée.
La
surface sur le moule était toute lustrée
Et
un ennui d'outre-tombe glissa
Doucement
de mon sourire édenté.
De
ces carnassiers.
Ceux
qui approchaient le gabarit courant,
Y
renonçaient.
Dans
la salle d'eau, pour pouvoir m'enlever
Ce
masque-là,
Le
fossoyeur est venu et il avait
Une
jauge en bois.
Et
lorsqu'à la fin d'une année tout entière,
Pour
couronner ma rectification,
Le
monument réduit se dressa
Devant
une énorme affluence populaire,
Ils
l'inaugurèrent avec des chansons,
Des
bandes magnétiques avec ma voix.
Le
silence s'est brisé au-dessus de moi,
Les
sons tombaient du haut des haut-parleurs.
Des
toits, les projecteurs ont frappé.
Mais
cassée par le désespoir, de ma voix,
Les
moyens techniques et modernes de l’heure
Ont
fait une jolie voix de fausset.
Enveloppé
dans mon suaire, je restais muet.
Tous,
on y sera !
Dans
les oreilles des gens, je m'égosillais
D'une
voix de castrat.
Linceul
ôté, que j'avais rétréci !
Jaugez
encore !
Ce
n'est pas vrai que vous me voulez ainsi
Après
ma mort !
Les
pas du Commandeur font un bruit mauvais.
Comme
à cette époque-là, alors, je pensai
Et
la foule, dans les venelles, a détalé
Quand,
en soupirant, j'arrachai un pied
Et
que la pierre s'effrita de moi.
Je
me suis penché, hideux, à découvert.
Mais
en tombant, ma peau, je l'ai quittée,
Finissant
en barre de fer ma vie.
Et
lorsqu'à la fin, je m'écroulai à terre,
J'ai
eu le temps, des mégaphones bosselés,
De
crier : "On dirait que je vis !"
Ma
chute m'a entièrement tordu
Mais
saillent alors mes pommettes aiguës
Métallisées !
Je
n'ai pas su, comme ils le désiraient,
En
douce, très vite
Partir
et, face au peuple, j’ai échappé
A
leur granit.
1973
98.
NUL N'EST PROPHETE
J'ai
laissé là mon oeuvre, une vie trépidante, frénétique.
Comme
je suis venu, je suis parti. Avec moi, je n'ai rien emporté
Et
il est arrivé à son heure, ce terme fatidique.
D'autres
choses m'appellent loin derrière les collines bleutées.
Dans
les ouvrages, on en apprend des sommes.
Mais
les vérités se transmettent par ouï-dire.
Nul
n'est prophète en son pays, en somme,
Et,
dans les autres, ce n'est ni meilleur, ni pire.
J'ai
été dépouillé, mais je suis heureux que la part du lion
Revienne
à ceux auxquels je l'aurais de toute façon donnée.
Sur
le parquet ciré, je m'enduis de colophane les talons
Je
dois monter l'escalier, prendre la direction du grenier.
Nul
n'est prophète, tu auras beau les chercher.
Ils
sont loin, Mahomet et Zarathoustra.
Nul
n'est prophète en son pays, c'est vrai
Et
dans les autres, non plus, on ne l’est pas.
Je
les entends dire en bas, allez savoir, bonté, méchanceté ?
"C'est
bien qu'il soit parti. Sans lui, les choses sont plus claires"
A
l'angle de l'icône, de la main, je balaie une toile d'araignée,
Je
me hâte car, déjà, on selle les chevaux dans la cour, derrière.
L'icône
s'anime. Je m'arrête, surpris,
J'entends
le saint me dire, à haute voix, tristement :
"Nul
n'est prophète, vois-tu, en son pays
Et
dans les autres, il n’en est pas tellement".
Je
bondis sur la selle, me confonds au cheval, identique.
J'ai
pris le mors aux dents, je ne fais qu’un avec lui désormais.
J'ai
quitté ce que je faisais, une vie trépidante, frénétique.
D'autres
choses m'appellent loin derrière les collines bleutées.
Sous
les sabots crissent les épis de blé
Et
je les entends murmurer à l'unisson :
"Nul
n'est prophète en son pays, c'est vrai
Et
dans les autres, ils ne sont pas légion".
Je
n'ai pas vendu les amis et j'en ai même sauvé un du malheur.
Un
seul en a pâti. Plus tard, on mettra nos comptes à jour.
J'ai
quitté ce que je faisais, je n'ai laissé ni sang rouge, ni sueur,
Et
c'est sans moi que la vie a continué son cours.
Nul
n'est irremplaçable, alors, chantons
L'office
des morts aux gisants, qu'on n'en parle plus.
Nul
n'est prophète en son pays, allons,
Et
dans les autres, ils ne sont pas nombreux non plus.
1973
99.
EN POLOGNE ( CARNET DE ROUTE)
Ah
! Les routes étroites qui
Virent
à angle droit,
Verstes
de Biélorussie,
Fondrières
ou pas !
Comme
des noix, des amandes,
Moi,
je les éclate.
On
dit que les allemandes
Sont
planes et droites.
Là-bas,
dit-on, elles sont à trois voies
Et
pas de panneaux « Achtung » ou bien « Halt ».
Bah
! Après tout, on roulera, on verra,
On
sentira, pas la poudre, mais l'asphalte.
Les
pentes douces, au petit bonheur,
Je
les écrase d'un coup.
Dans
le liteau de mon cœur,
S'est
caché un loup.
Allez,
ma meute de roues !
Je
vise avec adresse,
J'en
finirai avec ce loup,
Quand
je verrai le mot « Brest ».
A
l'eau du puits, je vais me rafraîchir.
Sur
le passeport, je montrerai mes visas.
Puis
le douanier me fera un sourire
En
m'ayant reconnu ... ou bien, comme ça.
Après
des bêtises variées
Du
genre "Qui es-tu ?",
Les
barrières se sont levées
En
l'air jusqu'aux nues.
Pour
sa femme, le douanier prend
Une
photo de plus.
On
ne nous y voit, seulement,
Que
du côté russe !
Moi
à Paris, à Nice, à Varsovie !
Elles
sont là-bas, à portée de main.
Je
vais passer la frontière, c'est ainsi :
Je
mettrai un terme aux doutes de certains.
Ah,
chemins glissants tout frais,
Votre
tour est là,
Villages
polonais,
Aiguillages
tout droit,
Les
télègues bâchées jusqu’en bas,
L’écaille
du pavement,
En
polonais, je ne cause pas,
Ma
femme, pareillement.
On
voulait grignoter, se rafraîchir
Et
nous nous sommes arrêtés par hasard.
Alors,
j'ai dit en russe : "Pardon, messire * !"
Je
suis tombé juste, ce qu'il fallait savoir.
Ah,
nourriture de routiers
Dans
très peu de plats !
Je
mange, sans rien regarder,
Tout
ce qu'il y a.
Sucreries
au bout de tout ça.
Ça
devrait cesser !
Et
moi, sur leur kherbatka,
Je
souffle comme sur du thé.
Et
la serveuse comptait sur un boulier
Comme
chez nous. Pourquoi les touristes mentent ?
Et
moi, jaugeant les monnaies de toutes sortes,
Je
comptais des zlotys en quantité
Et
grommelais : "Elle n'y va pas de main morte !"
Où
sont les chants traditionnels -
Allez
tous en piste !-
Et
les polonaises si belles,
Eden
pour touristes ?
A
côté sous la charmille,
Cœur
ouvert en plein,
S'amusaient
les jeunes filles,
Le
râteau en main.
"Oui,
la Pologne était dans la mêlée,
Nous
dit un vieillard, tout en dételant.
Les
belles Polonaises n'ont pas pâli, mais
Elles
ont péri dans des camps allemands."
Le
brabant entre comme la
Botte
dans la terre.
Les
cendres sont toujours là
Sous
le fer de l'araire.
La
mémoire mise à nu
Est
un blême passé :
Les
vies qui n'ont pas vécu
Nourrissent
les blés.
Dans
mon cerveau que soudain oppressait
Un
anneau d'acier qui se resserrait,
L'hémorragie
de Varsovie saignait
En
palpitant dans son sang qui coulait.
Ils
se battaient comme ils pouvaient,
Et
nos corps d'armée,
Deux
pleines heures, ralentissaient
A
proximité.
A
l'attaque, ils se ruaient
A
marche forcée
Et
nos artilleurs pleuraient
Sur
leurs chars blindés.
L'épisode
militaire, vieille trahison,
Dans
l'Histoire est entré comme de l’herbe séchée.
Mais
ce retard n'est pas oublié, non.
La
preuve : très vite, on se met à en parler.
Pourquoi
ont-ils lanterné
Tous
nos régiments ?
Pourquoi
ont-ils déjeuné
Ces
deux heures durant ?
Parce
qu'avec ces tanks trempés
De
larmes versées,
Les
Yankees et les Anglais,
On
les a mouchés ?
Les
renseignements étaient mal instruits ?
N'ont
pas fait leur rapport ? Allez savoir !
Voilà
que je lis maintenant "Varsovie",
Je
me dépêche, je ne veux pas être en retard.
1973
*
"Prochou pani", ce qui, en polonais, signifie "s'il vous plait,
monsieur".
Un peu éméché, je passais
par les bois.
Mais encore debout, je
braillais à pleine voix.
Je savais chanter des
rengaines usées :
« Kak loubil ya
vass, otchi tchorniyé ! ».
Au pas, à toute allure,
ou secoué au trot.
L'argile des marais
giclait des sabots.
Avec ma salive, j'avale
de la boue,
Je tords le cou de la
bouteille et j’entonne d’un coup :
« Otchi tchorniyé,
kak loubil ya vass !»
Mais quand je terminai
tout mon stock, hélas,
J'ai secoué la tête, pour
y voir plus clair,
J'ai regardé autour. Aïe
! la sale affaire !
La forêt devant, muraille
sans fin.
Chauvant des oreilles,
s'arrêtent mes chevaux.
Où est la clairière ? Où
est le chemin ?
Les aiguilles de pin me
percent jusqu’aux os.
Mon cheval timonier,
sors-moi de là, vieux frère.
Où vas-tu, mon vieux ?
Pourquoi en arrière ?
Et cette pluie des
branches comme empoisonnée.
Un loup plonge sous le
ventre de mon bricolier.
Ah, bougre d'ivrogne qui
me suis enivré les yeux !
La mort qui est là et je
ne peux pas me sauver !
On a enlevé un atout de
mon jeu,
Et sans cet atout, la
mort va gagner !
J'ai hurlé aux loups :
"Le Diable vous emporte !"
Mes chevaux, cependant,
la peur les escorte.
Je les frappe de mon
knout, je manie mon fouet
Et je hurle en même temps
: "Otchi tchorniyé !".
Fouet, sabots,
ébrouement, sarabande effrénée !
Les clarines dansent sous
l’arceau de bois.
Ah, vous, mes chevaux, je
vais vous malmener !
Sauvez-moi, amis !
Ennemis, sauvez-moi !
Ça m'a dessaoulé, cette
poursuite d'enfer.
On file sur la pente à tombeau
ouvert.
On est blancs d'écume, on
ruisselle d'effroi.
On retrouve le souffle,
on retrouve la voix.
Devant mes chevaux
fourbus qui ne m'ont pas trahi,
Je me suis agenouillé, je
les ai bénis,
Je marche à côté d'eux,
j'allège le traîneau.
Je suis sain et sauf.
Bénis soient mes chevaux !
Combien de disparus, que
de rangs clairsemés !
La vie m’a projeté sans
atteindre le trait.
Peut-être n'ai-je pas su
vraiment vous chanter,
« Otchi
tchorniyé », nappe immaculée *.
1973
* Ce dernier couplet appartient à une autre
chanson du même cycle "qu'a donc cette demeure ?" n° 102. Mais,
Vyssotski lui-même jugeait bon de l’ajouter ici lors de ses concerts.
101.
PREPARE TA TOMBE
"Prépare
ta tombe ou en route, gaiement !".
Le
choix qu'on nous laisse est ainsi réduit.
Nous
sommes condamnés à vivre lentement.
Par
sécurité, une chaîne nous lie.
Précipitamment,
sans bien regarder,
Certains
y ont cru, sans trop s’en faire.
Mais
est-ce une vie que d’être enchaîné ?
Mais
est-ce un choix si on porte les fers ?
Leur
sourire indulgent est bien retors,
Comme
le philtre de devins un peu cinglés.
Venant
des nôtres, devant, c'est la mort.
De
derrière, la mort nous vient des étrangers.
On
a l'âme qui gèle et le corps a froid.
Comme
des marionnettes, tout le monde se tait.
Et
dans le miroir, en face de soi,
Ricanent
l'opprobre et son sourire en biais.
Ah,
si l'on pouvait fracasser ces chaînes,
Alors,
on trancherait la gorge volontiers
De
celui qui a pensé que des chaînes
Pouvaient
nous lier à cette vie vantée.
Est-ce
que l'on espère quelque chose vraiment ?
Peut-être
la chaîne est-elle trop lourde pour nous ?
De
nos mains ferrées, de nos os tremblants
Aux
portes du Ciel, pourquoi frappons-nous ?
On
nous propose une issue à la guerre
Mais
à un tarif si démesuré:
La
sentence en est une vie entière
Mais
la vie vaut-elle ce prix outrancier ?
Tout
n'est pas fini. Allons-y doucement.
Dans
cette grande guerre, même de ce côté
Nous
pouvons encore mourir dignement.
Nous
ne ferons pas nos nids sur la gangrène,
On
nous prend trop vite pour de la fange de marais.
Nous
ne mourrons pas après une vie de peines :
C’est
par une mort digne plutôt que l’on renaît.
1973
102.
QU'A DONC CETTE DEMEURE ?
Qu'a
donc cette demeure
Engoncée
dans le noir
Aux
sept vents hurleurs
Menteurs
et roublards
Dont
toutes les croisées
Donnent
sur la crevasse
Et
la porte d'entrée
En
plein sur l'impasse ?
J'ai
dételé les chevaux. Pourtant j'étais flapi.
Eh
! Y a-t-il quelqu'un qui pourrait venir m'aider ?
Pas
un chat. Seulement une ombre dans l'appentis.
Un
charognard au ciel tournoie comme aux aguets.
On
pénètre là
Comme
dans un troquet.
Un
client sur trois,
D'avance,
me hait.
Ils
rechignent, c'est sûr.
Je
les embarrasse.
Les
icones, au mur,
Sont
toutes noires de crasse.
Une
guitare souffrante gémit de la musique.
Une
discussion s'engage, étrange méli-mélo.
Un
gamin chapardeur, niais, épileptique,
En
cachette, sous la nappe, me montre son couteau.
Qui
va me répondre ?
Quel
est ce taudis ?
Pourquoi
est-il sombre
Comme
une léproserie ?
Les
cierges ont péri,
L'air
s'est raréfié,
On
a désappris
Chez
vous d'exister.
Vos
portes sont ouvertes, mais vos coeurs sont fermés.
Qui
est le maître ici, qu’il paie la tournée !
On
me répond : "ça se voit que tu as voyagé,
Tu
nous as oubliés, ici, rien n'a changé".
C'est
d'herbe qu'on se nourrit.
De
l'oseille à manger.
Nos
coeurs se sont aigris,
Tout
"oseillifiés".
Puis
à se saouler
Beaucoup
se sont mis,
Ont
tout fracassé
Et
se sont détruits.
Pour
ne plus voir ces loups, j'ai crevé mes coursiers.
Là
où les cierges éclairent, montrez-moi l’endroit,
Montrez-moi
cet endroit que j'ai toujours cherché
Où
l'on chante sans gémir, où le plancher est plat.
Mais,
de ces maisons,
Nul
n'entend parler.
A
vivre à tâtons
On
s'est habitué.
Nous,
on s'abandonne,
Fielleux,
à gémir
Devant
les icones
Noircies
par la cire !
Fuyant
l’odeur, les icones accrochées de biais,
J'ai
foncé tête baissée, à coups de fouet cinglants
Tout
droit devant moi où mes chevaux me guidaient
Où
les gens savent vivre, où les gens sont vivants.
Combien
de disparus, que de rangs clairsemés !
La
vie m’a projeté sans atteindre le trait.
Peut-être
n'ai-je pas su vraiment vous chanter,
Chanson
«les yeux noirs », nappe immaculée.
1973
103.
SUR LA VOLGA, NOTRE MERE
Sur
la Volga, notre mère,
La
Volga nourricière,
Quantité
de chalands ploient
Sous
leur charge de bois.
Elle
n'est pas éreintée,
Elle
n'est pas harassée,
Le
fardeau paraît léger
Lorsque
c'est pour soi.
Et
au fil de la Volga,
A
droite, dans les secousses
Des
rapides, j'aperçois
Le
rivage en pente douce.
Là,
le jonc est tremblotant,
Il
se casse par le mitan,
A
droite, la rive descend,
A
gauche, elle monte brutalement…
Des
chants, la Volga en sait
Plus
durs que ceux des bateliers
Quand
son eau fut lacérée
Par
les balles ennemies.
Et,
alors, sur notre mère,
A
coulé notre sang clair,
Il
s'est figé à la lisière
En
écume brunie.
Dans
ses eaux douces, des années
Combien
de larmes furent versées,
Et
les rives abaissées,
Et
les rives escarpées
Ont
pleuré d'être souillées
Du
pas des chevaux ferrés,
Mais
les vagues ont léché,
A
présent, les méchantes plaies.
Que
vous est-il arrivé,
A
vous, antiques cités ?
Là,
près des remparts usés,
Autour
des kremlins,
Comme
soudain réveillés,
Ils
ont jailli par milliers,
De
terre, tes chevaliers,
Tous
les preux des temps anciens.
De
leurs pattes toujours ramant,
Les
navires péniblement,
De
la Caspienne, depuis longtemps,
Tirent
les barges en s'échinant,
Tirent,
tirent sans regarder,
Et
sur de grands espaces,
Derrière
les rives escarpées
S'étendent
les rives basses.
1973
104. LA TEMPETE
En mer, la tempête fait rage.
Tandis que l'écume repasse
Les accrocs sableux de la
plage.
De la falaise, j'ai l'image
Des vagues se fracassant la face.
J’éprouve pour elles une
pitié sincère
De les voir périr,
De loin derrière.
J'entends
leur râle agonisant
Leur rage de ne pas être invincibles.
A quoi bon prendre un tel
élan,
S'enforcir dans l'étranglement,
Et se briser la tête sur la cible ?
J’éprouve pour elles une
pitié sincère
De les voir périr.
Mais loin derrière.
Crinières blanches du destin.
Devant la mort comme fardés,
Se cabrent les chevaux
marins,
A l'appel du martial tocsin,
Puis se brisent, le mufle
levé.
J’éprouve pour eux une pitié
sincère
De les voir périr,
De loin derrière.
Et le vent bat les lames dressées,
Ebouriffant les crinières crème,
La vague, à l'écueil, arrêtée
Et, par un croc-en-jambe fauché,
S'effondrera le cheval blême.
J’éprouve pour lui une pitié
sincère
De le voir périr,
De loin derrière.
Mon tour est proche et l'on m'incline,
En me poussant vers l'abîme, à choir.
J'y pense déjà, je l'imagine,
Je me fracasserai l'échine,
Je me briserai la mâchoire.
Ils éprouveront pour moi une pitié sincère
De me voir périr,
De loin derrière.
Depuis des
siècles, ces spectateurs
Sont sur la
plage à regarder,
Attentifs et
observateurs,
Les autres se
démolir le cœur
Et les
vertèbres sur les rochers.
Et ils éprouvent une pitié
sincère
De les voir périr,
De loin derrière.
Aux fonds
marins enténébrés,
Là où les
cétacés demeurent,
Va naître et
bientôt s’élancer
Une vague
inimaginée.
Sur la rive
elle va déferler
Et elle noiera
les spectateurs !
J’éprouverai une pitié
sincère
De les voir périr,
De loin derrière.
1973
105.
VOILA TON BILLET
Voilà
ton billet, voilà ton wagon,
Dans
un éden, une illusion
D'un
cinéma non-stop trisécularisé.
Tout
est fini, il n'y a plus rien
De
tes empreintes. La contrebande, il n'y en a pas.
Tu
es pur comme un chérubin.
Tu
es en seconde, pas en première, mais il y a des draps.
Toutes
les prophéties sont enfin accomplies.
Le
train s'en va dans les nuages. Bonne randonnée !
Oh,
comme on a envie, comme on a tous envie
De
ne jamais mourir, de juste sommeiller.
Le
quai terrestre. Arrête tes cris,
Ne
gémis pas. Il est sourd à ceux qui résistent.
Un
de nous ira au Paradis.
Il
rencontrera Dieu, sans doute qu’Il existe.
N'oublie
pas de Le saluer.
Et
si tu oublies, on fera avec, ne t'en fais pas.
Il
nous reste bien peu d'années.
On
gigotera, comme c'est la règle, puis on mourra.
Le
train s'en va dans les nuages. Bonne randonnée !
Oh,
comme on a envie, comme on a tous envie
De
ne jamais mourir, de juste sommeiller.
Au
paradis, dormir, quelle chance !
On
aura bien ici le temps de s’occuper,
Et
d’autres aiment et d’autres pensent aimer.
Dans
le néant, ils partiront,
Nos
fils, nos petits-fils, les petits-fils de nos fils.
Dieu
nous épargne la guerre, sinon
On
fera les dindons de la farce de nos arrière-petits-fils.
Tu
fais le sourd, tu ris de tout ça.
Couché,
mon bonhomme, éternellement tu te délasses
Innocemment
et sans tracas
Tu
t’es trouvé la place parfaite, tu es vraiment un as.
On
sera réveillé par un type
Où,
de Hong Kong, il n’y aura plus de grippe.
Où
tout est prêt, es-tu heureux ? Benêt...
Toutes
les prophéties sont enfin accomplies.
Le
train s'en va dans les nuages. Bonne randonnée.
Oh,
comme on a envie, comme on a tous envie
De
ne jamais mourir, de juste sommeiller.
Voilà
le coup de sifflet. Allez adieu.
Bon
voyage, garde-toi des malheurs à venir.
Et,
si, là-bas, vraiment il y a Dieu,
Transmets-Lui
notre salut, tâche de t'en souvenir.
1973
106. LE VOL ARRETE
Il est des arbres aux
fruits immatures,
Immatures,
Un choc sur le tronc les
fait choir,
Fait choir.
Il avait de la voix, je
vous assure,
Vous assure,
Mais il ne pouvait le
savoir,
Savoir.
En mésentente avec le
sort,
Le sort,
Soit que son étoile lui
fit défaut,
Défaut,
Mais les cordes, pourtant
tendues à mort,
A mort,
De sa guitare, portaient
à faux,
A faux.
Il commença d'un "
do " pas très ferme,
Sans tenir la note
jusqu'à son terme,
Son accord promis à
l'oubli,
L'oubli
Et dont personne ne
s'inspirera.
Le chat, lui, chasse les
souris,
Et le chien aboie.
Plaisant, n'est-ce pas
que c'est plaisant !
Plaisant !
Ses facéties tombaient à
plat
Il aurait voulu goûter au
vin, pourtant,
Ses lèvres à la coupe
n'allèrent pas.
Il remit à peine les
choses en cause,
En cause
Lentement, hésitant sur
les mots,
Les mots
Telles des gouttes de
sueur sur le corps,
Le corps
L'âme lui perlait à fleur
de peau,
De peau.
Quand vint l'heure du
duel à la barre,
La barre
Il n'eut pas le temps d'intervenir,
- venir
Aux règles du jeu, il
jeta juste un regard,
Un regard.
Son compte, le juge
devait l'ouvrir.
Et dans sa quête de la
vérité,
A mi-chemin, il fut
stoppé,
A mi-espoir, à
mi-parcours,
Mi-parcours,
C'est à peine s'il aura
creusé.
Et il aima d'un seul
amour
Inachevé, inachevé.
Plaisant, n'est-ce pas
que c'est plaisant !
Plaisant !
Il se dépêchait, mais en
vain
Car il aura laissé en
plan
Tout ce qu'il n'a pu
mener à bien.
Je ne mens pas d'un iota,
il était,
Etait,
Du style serviteur
fidèle,
Fidèle.
Pour elle, sur la neige,
il rimait,
Rimait
Mais la neige fond quand
vient le dégel,
Dégel.
A cette époque, il
neigeait dru
- geait dru,
Et l'on avait licence
d'écrire.
Pour gober les flocons
des nues
Il se décida à courir.
Vers elle, dans son carrosse
d'argent,
Il se hâtait sans perdre
de temps
Sans la prendre, fuyard
au galop,
Galop,
Sans la toucher, sans
l'effleurer.
Son signe zodiacal, le
Taureau
Lapait la froide Voie
Lactée.
Plaisant, n'est-ce pas
que c'est plaisant !
Plaisant !
Quand une seconde manque
à tout sol-
- de ou qu'à la fin
manque un segment.
Fini le vol, fini le vol,
Fini le vol.
Plaisant, vous ne trouvez
pas, C'est drôle !
Plaisant pour moi comme
pour les autres…
Le cheval au trot,
l'oiseau en vol,
A qui la faute ? A qui la
faute ?…
1973
107. ZODIAQUE
Au-dessus de nos têtes,
ni gouffre, ni noir
Mais le livre, et du
Bien, et du Mal.
Le zodiaque nocturne,
nous le couvons du regard,
Ce tango éternel des
étoiles.
On contemple, la tête
rejetée en arrière,
Le silence, le secret,
l'éternité.
Les routes des destins,
notre vie éphémère,
Sont tracées là, en
invisibles repères
Qui peuvent nous garder,
nous protéger.
Nectar brûlant aux frimas
de février,
Tel le saint chrême,
douce infusion,
Le Verseau épanche sa
belle eau étoilée
Dans le Capricorne au
gosier sans fond.
Le flot céleste est
sinueux, fulgurant,
Aux couleurs de mercure
et de sang.
Mais des fers aux brumes
de mars s'évadant,
Vers leur frai nagent les
Poissons puissants
Remontant les lactés
affluents.
Le Sagittaire a dardé tous
ses traits,
En décembre, il est
dolent, chagriné.
Dès lors, le Taureau,
sans crainte, peut folâtrer
Dans les clairs pâturages
de mai.
Du fond de son mois
d'août, le Lion affamé
Lorgne le Bélier d'avril
de façon bien suspecte.
En juin, ouvrant aux
Gémeaux leurs bras légers,
De leur constellation,
les jeunes Vierges ont fait
De la Balance, une
escarpolette.
Les ténèbres sont percées
de rais de lumière
Comme le fil d'Ariane,
ils sont concrets.
Le cruel Scorpion, le
mystérieux Cancer
Sont éloignés de nous,
neutralisés.
De son zodiaque, l'homme
ne s'en plaint mais
Au décri, les étoiles
seraient-elles sensibles ?
Ces constellations, au
ciel il les a arrachées,
En un métal noble, il les
a enchâssées
Et le mystère devint
accessible.
1973
Pas
encor les glaces, ni le froid.
Rouge
est l'obier **, et chaude est la terre.
Mais
un homme git en terre, là-bas,
A
Novodevitchi, au cimetière.
Il
devait ignorer la sentence
Que
la plèbe oisive aime égrener :
"Celui
qui la veut de son plein gré,
La
Mort l'attrapera de préférence."
Si
tel est le cas, ne va pas si vite,
Makarytch,
détends-toi, doucement,
Ecris
encore, encor médite,
Joue
encore, et reste bien vivant.
En
forçant les hommes même à pleurer,
Il
a pris une balle dans le ventre.
Chien
fidèle, il est allé s’étendre
Près
d’un buisson aux feuilles tendres,
Un
obier rouge, si rouge était l’obier.
Les
plus méritants, la Mort les voit.
Un
à un, elle les choisit.
Notre
frère est parti pour la nuit.
Il
ne s'en sera pas remis :
Il
ne s'agite pas, ne s'ennuie pas.
Il
y aurait "Razine" cette année !
Quel
décor, Narotch ***, Onéga?
Les
“culs et chemises” ****, fini tout ça!
Ton
copain ne sera pas né !
Juste
une hésitation éphémère,
Le
Sort susurra tout à coup :
"A
cet Asiate, ôtons le tabou,
Car
il a vu au fond du trou
Les
messes et les repas funéraires !
Cette
grande âme au corps attachée,
La
bosse chargée d'un poids de surhomme,
Pour
lui éviter le fatum,
Il
faut tout chaud au lit l'attraper."
Après
le bain, inéluctablement,
Devant
Dieu, sobre, immaculé,
Pour
de bon, il a trépassé
Et
plus sûrement que sur l’écran.
Et
nous, portant sa dépouille en terre
En
hurlant, laissâmes notre ami là,
A
l'ombre des bouleaux du cimetière,
Faire
la bamboche hors du temps, de la terre...
A
côté poussait un lilas,
Un
lilas d'automne. Nu comme un ver.
1974
* Vassili Choukchine,
écrivain sibérien.
** L'Obier rouge, titre
de l'oeuvre la plus connue de Vassili Choukchine.
***
Le lac Narotch se trouve en Biélorussie.
****
"culs et chemises" traduit l'expression populaire sibérienne
"pechki-lavotchki" (petits poêles, petits bancs) qui signifie qu'ils
ont des relations amicales très fortes. C'est le titre en russe et en français
d'un film de Choukchine.
109. BALLADE DE L'AMOUR
Chanson du film "Les
flèches de Robin des Bois"
Quand, dans les limites
de leur lit, sont revenus
Tous les flots du Déluge
Universel,
Hors de l'écume,
abandonnée par la crue,
L'amour vint sans bruit
sur la rive nouvelle,
S'évapora avant le temps,
sans retenue,
Mais, ces temps, il y en
avait une kyrielle.
Il reste encore des
excentriques hors canon
Qui inhalent ce mélange à
pleins poumons.
Ils n'en attendent ni
blâme ni décoration,
Pensant respirer comme ça
tout bonnement.
Soudain, ils tombent en
eurythmie, haletant
Du même souffle
irrégulier, à l'unisson.
Je ferai un nid pour ceux
qui s’aiment :
Qu’il chantent à minuit,
à midi !
"Je respire"
signifie que j’aime !
Et "j’aime"
signifie que je vis !
Pendant longtemps,
semblable au voilier
Sur la mer, le coeur
devra flotter
Avant de savoir combien
"aimer"
C'est
"respirer" ou bien "exister".
Que de traversées à
venir, de cheminements,
Le pays de l'amour est
une vaste contrée.
Pour mettre à l’épreuve
ses chevaliers servants,
L'Amour exigera avec plus
de fermeté,
Demandera rupture et
éloignement,
Les privera de repos, de
sommeil et de paix.
Jamais ces insensés ne
feront marche arrière !
Ils sont prêts, là, à
payer le prix cher,
N'importe quel prix, même
à risquer leur vie,
Pour que ne se rompe pas,
pour le conserver,
Le fil magique,
invisible, inoui
Que les amants ont entre
eux déroulé.
Beaucoup de ceux qui
d’amour se sont enivrés,
Ne répondront pas à
l’appel de tes cris.
Propos et billevesées
leur ont fait payer
Une note dont le sang est
le prix,
Et nous plaçons des
chandelles au chevet
De ceux qui sont morts
d'un amour inouï.
Parmi les fleurs, leurs
âmes vont errer, vagabondes,
Et leurs voix à l’unisson
se fondre
Pour toujours respirer
d’une même respiration,
Se rencontrer, en
soupirant d’amour,
Sur les fragiles
passerelles, les carrefours,
A la croisée des chemins
de la création.
Le frais zéphir enivre
les amants,
Les élus perdent pied,
ressuscitent des morts.
Car si l’on n’a pas aimé,
vraiment
On n’a ni vécu, ni
respiré, alors.
1975
110.
BALLADE DE L'ENFANCE
L'heure
de ma conception, je l'oublie,
C'est
que j'ai la mémoire éborgnée.
Je
fus conçu dans le péché, une nuit
Et
je suis né, pas même prématuré.
Je
naissais sans même avoir souffert.
Ce
n'est pas des siècles, après tout, neuf mois.
J'ai
fait mon premier temps dans ma mère,
Il
n’y avait rien de bien dans cet endroit.
Merci
à vous, mes anges gardiens,
D'avoir
soufflé sur le destin,
Afin
que mes parents soudain
Pensent
à fabriquer un gamin.
A
cette époque reculée,
Presque
antique maintenant,
Quand
de très nombreux condamnés
Erraient
sur des itinéraires distants.
On
les emmenait parfois avant
La
nuit même de leur conception.
Mais
ils vivent ces joyeux drilles pourtant,
Ma
compagnie de gais lurons.
De
l’avant, pensées mutines, de l’avant !
Et
mes mots et mes strophes, allez vite.
J’étrennai
la liberté, l’obtenant
Par
décret de mil neuf cent trente-huit.
Si
je tenais celui qui a lambiné,
Je
prendrais ma revanche en gredin !
Mais
je suis né, j'ai vécu, résisté,
Rue
Méchanskaya, juste à la fin.
Derrière
le mur, mur mitoyen,
Derrière
la petite cloison, là,
La
voisine et le voisin
Se
sirotaient de la vodka.
Tous
étaient logés pareillement,
Système
à couloir, tous serrés
Et
pour trente-huit appartements,
Il
n'y avait qu'un seul vécé.
Ici,
on grelottait de froid.
On
ne se chauffait pas avec
Le
maillot de corps. J’ai appris là,
Quelle
est la valeur d’un kopek.
La
voisine ne craignait pas les sirènes.
Ma
mère s'y faisait progressivement,
Et,
de toutes ces alertes aériennes,
Je
m'en moquais, fort de mes trois ans.
Tout
ce qui tombe du ciel n'est pas béni.
Et
le peuple éteignait les brasiers.
Moi,
j'aidais les sauveteurs aussi
Avec
mon sable et mon seau troué.
Le
soleil frappait en trois rais,
Filtré
par les trois trous du toit
Sur
Kirilovitch Evdokié
Et
sur Guissia Mossiyevna.
Elle
lui demande : - et pour vos fils ?
-
Ils sont portés disparus, en fait
On
est de la même famille, Guiss,
Comme
nous, vous n'êtes pas épargnés.
Comme
nous, vous n'êtes pas épargnés.
Vous
vous êtes donc russifiés,
Les
miens sont portés disparus,
Les
vôtres, innocents, sont détenus.
J'ai
quitté les langes et les biberons.
J'ai
grandi, ni oublié, ni rejeté.
Mais
on me taquinait : espèce d'avorton !
Bien
que je ne sois pas né prématuré.
J'essayais
d'arracher les camouflages.
On
traîne les vaincus ! De quoi a-t-on peur ?
Nos
pères, nos frères, sont rentrés de voyage
Chez
eux, un «chez eux», parfois, pas le leur.
Tante
Zina avec sa tunique,
Pleine
de dragons et de serpents.
Et
chez mon pote Popov Vovtchik,
Le
père est revenu triomphant.
De
ce Japon plein de trophées,
De
cette Allemagne des trophées,
Le
pays de Cocagne est arrivé
Avec
des valises à craquer.
J'ai
pris à la gare les galons
De
mon père comme un nouveau jouet.
De
retour de l’évacuation,
Les
civils se déversaient sur les quais.
Ils
se sont habitués, accoutumés.
Ils
se sont saoûlés puis dessaoûlés.
Ceux
qui attendaient ont cessé de pleurer.
Ceux
qui n’attendaient plus, de hurler.
Le
père de Vitka creuse l’infrastructure
Du
métro, on lui a demandé pour quoi faire ?
"Ben,
les couloirs se terminent par un mur,
Mais
les tunnels mènent à la lumière".
Les
prophéties paternelles,
Vitka
ne les a pas écoutées.
Et
de notre galerie, c’est celle
De
la prison qu’il a empruntée.
D’ailleurs,
il était toujours querelleur,
Ne
se rendait pas, le dos au mur.
Il
est passé par un corridor
Pour
finir tout droit contre un mur.
Mais
les pères, ils ont leurs idées.
Pour
ce qui touchait nos attentes,
On
commençait à regarder
La
vie de façon indépendante.
Tous
jusqu’à ceux âgés d’à peine un an
Dans
les caves, les entresols, les couloirs,
Pour
crâner, on allait jusqu'au sang.
Les
gars voulaient aller devant les chars.
Ils
n'ont pas eu droit même au fusil.
A
l’apprentissage, respire et gémis.
Pas
de danger, pas de risque, mais ils l’ont pris
De
faire des couteaux avec des scies.
Avec
leurs manches de bouchon,
Tricolores,
sertis sur les machines,
Ils
pénétraient dans les poumons
Déjà
noircis de nicotine.
Les
bagnards morveux longtemps
Sur
les chantiers faisaient du troc :
Contre
du pain aux prisonniers allemands,
Des
couteaux faits de bric et de broc.
D’abord
c’est aux images qu’on jouait,
Avec
les grippe-sous pour du beurre.
Puis,
les romantiques s’en sont allés
Par
les soupirails comme des voleurs.
Au
"1", spéculation et affaires.
Sans
avoir peur de qui que ce soit,
Elle
a fini sa vie, millionnaire,
Tante
Maroussia Peresvetova.
Chez
Maroussia derrière le mur, on jeûnait.
Oui,
mais elle buvait en catimini.
Elle
est tombée, tout près de l’entrée.
Elle
est morte là, ce n’était pas joli..
Les
bénéfices comme du haschich,
Elle
n’a pas supporté, je crois,
Maroussia,
Maroussia la riche,
Tantine
Peresvetova.
Il
n’y avait là rien que de très normal.
Mais
si on le voyait, ça choquait par trop.
Une
fortune nous faisait mal,
Celle
du constructeur du métro.
Il
casse la porte et vitupère :
"Bandes
de morveux, bande de marmots,
Et
moi ? Pourquoi ai-je fait la guerre”
Et
tout un tas de noms d’oiseaux.
Il
y avait des caves et du temps d'avance.
C'était
l'époque où les prix baissaient.
Les
canaux coulaient dans le bon sens
Et
arrivaient juste où il fallait.
Les
fils des anciens lieutenants et majors
Se
sont élevés jusqu’aux latitudes du froid.
Car,
à partir de ces corridors,
Ça
leur paraissait plus facile d’aller en bas.
1975
Chanson du film «
Comment le tsar Pierre maria son nègre »
Que me sera-t-il donné, à
présent, de voir, de respirer ?
L'air est lourd avant
l'orage, lourd et gluant.
Que me sera-t-il donné,
désormais, de chanter, d’écouter ?
J’entends l’oiseau de
paradis de mes contes d’enfant.
L'oiseau Sirine *,
allègrement me sourit,
Il m’amuse, de son nid
m'accoste.
A l’inverse, il me rend
morose, il m'assombrit,
M'empoisonne le cœur
l'oiseau Alkonost *.
Comme sept cordes qui, à
leur tour,
S’égrènent dans le
silence,
Le chant de l'oiseau
Gamayoune *
Me rendra l'espérance !
Dans le ciel tout bleu,
piqueté, clouté de clochers,
Une clochette de cuivre
tintinnabulait,
Tantôt joyeusement,
tantôt tristement.
En Russie, on recouvre les
dômes d’or fin en entier
Afin que Dieu les
remarque plus souvent.
Je suis là, debout face à
l’éternel mystère
De ce pays immense, pays
de contes de fée,
Ce pays de sel,
aigre-doux, âcre et amer,
Ce pays de seigle, de
sources, pays azuré.
Dans la boue ocre et
grasse, pataugeant,
Les chevaux s'enfoncent
jusqu'aux étriers,
Ils me conduisent dans un
pays au bois dormant
Tout suri, de sommeil
tout gonflé.
Comme sept lunes qui, à
leur tour,
Se lèvent sur mon chemin
d’errance,
Le chant de l'oiseau
Gamayoune,
Me rendra l'espérance !
Mon âme affaiblie par les
tourmentes et les tourments,
Mon âme érodée par les
revirements,
Si elle est usée, amincie
jusqu'au sang,
Je la ravauderai de
fragments d'or entièrement
Afin que Dieu la remarque
plus souvent.
1975
* Les oiseaux Sirine,
Alkonost et Gamayoune ( sur les armoiries de la ville de Smolensk) sont des
messagers mythiques du destin.
112.
A LA DOUANE
A
Chérémétiévo *
Le
trois novembre, la météo
N'est
pas tout à fait idoine,
Blême,
mais endimanché
Dans
la queue au passage en douane.
D'abord,
je reste dans la file; je ne veux pas foncer :
De
la vodka, c'est que j'en ai à revendre
Un
Uruguayen est convaincu de contrebande,
Une
croix sur le torse, dans l'épaisse toison.
La
foule, d'une même voix, qui grogne :
"Secoue-le
par les pieds; voyons
Vise,
il y a quelque chose qui sonne !
Et
c'est vrai, plus bas que le ventre,
(à
la limite de la plaisanterie)
On
découvre, là, ciselés, qui pendent
Du
XVème siècle deux crucifix.
Oh,
comme il enrageait !
"-
Il n’y a pas de loi ! Où elle est ?
Mon
avion, je peux rater l’horaire !
Mais
le Christ sur le crucifix
Vers
les quatre heures et demie
N’a
pas eu le vol de Buenos Aires
Il
faut dire qu'on devient moins bête au fur et à mesure,
On
a besoin nous aussi de crucifiés à présent
Car
c'est une des richesses de notre culture,
Même
si ce sont des vestiges de l'ancien temps.
Et
avant, à tout bout de champ,
On
offrait bibles et icônes
Avec
ou sans leur cadre d’argent
A
n’importe quelle personne.
De
ses caisses poussiéreuses extrait,
Nous
regardant méchamment,
L’art
ancien, tout attristé,
Nous
quittait définitivement.
Mister
s'est fait creuser une dent.
Pour
sûr, il a eu du cran.
Mais
le douanier extrait sans drame,
De
la dent, en faisant levier,
Une
statue dans son entier
Toute
en marbre, seulement sans les rames.
Voilà
qu'on inspecte un drôle de zig
Qui
restait bien trop laconique
Et
l'on retire de sa poche une figue
Qui
contenait pour noyau un triptyque.
-
Pourquoi un retable, passager?
Vous
pouviez acheter en “beriozka”
Un
souvenir de Russie bon marché
Un
accordéon, une matriochka.
Paix,
amitié ! Cessez le combat !
Alors
à une chèvre - un biniou
A un pope - une flûte et pourquoi pas
Une
icône à un Papou !
Ils
nous ont tant fait suer
Ces
vrais contrebandiers !
Celui qui fut privé de sa caryatide,
Un
petit gars, pour nous narguer,
Pour
Washington a embarqué
En
faisant du bruit de sa dent vide.
C'est
bien : nos douanes luttent enfin contre le vol,
Traquent
le précieux capital et veillent
Que
pas un gramme d'or ne tombe des auréoles,
Que
pas un clou du crucifié ne se perde.
Du
pillage ! un iconostase
Celui-là
une croix, l'autre une image
Et
notre foi en Dieu s’efface.
Ils
l'embarquent vers d'autres rivages.
Et
dans ces voyages vers l'exil,
Sans
espoir de revenir après,
Les
gens en règle, s'en vont, tranquilles,
Les
prophètes contre leur gré.
Je
suis trempé, je sue ici,
Je
ne cache rien, je suis ce que je suis.
Pour
la douane, je ne peux pas être un gars louche.
Vrai,
j'ai tatoué près de ma cheville
Une
croix bleue en estampille
Mais
je dirai que c'est la Croix-Rouge.
Un
mollah cache dans son livre saint un triptyque.
Vrai,
la contrebande, c'est tout un art !
Je
croise les doigts comme quand on fait la figue
Pour
que ça se passe bien, et à tout hasard.
Les
Arabes, ben tiens, de nos jours,
Tiennent
à l'Europe la dragée haute.
Pourtant,
dans la "Guerre des Six Jours"
Notre
aide a été plutôt forte.
Ils
ne viennent pas chez nous en simples touristes.
Il
faut penser à ça, non mais !
Et
ils emportent notre Christ
A
la rencontre de Mahomet.
Pour
le moment, je suis ici.
Ici,
il y a ma dynastie,
Toute
ma vie, mon travail et mon sang.
Les
martyrs, par sympathie,
De
leur socle qui noircit,
Me
regardent en compatissant.
Maintenant,
comme au poste de police un poivrot,
Ils
vont me déshabiller, honte, déshonneur, devant tous les saints,
Trouveront
une figue en poche, du brouillard dans le cerveau,
Une
croix au pied, et demanderont des témoins.
Je
grattais ma croix en maudissant
Le
sort, moi-même, et toute la troupe.
Quand
apparut à cet instant
Le
responsable du groupe.
Calme
et sûr, il dit, le gars,
(Le
genre de type qu'on ne fouille jamais) :
Bah,
ne vous occupez pas de son cas,
Bah,
il n'a rien sauf de la vodka,
C'est
un gars de chez nous, déjà contrôlé.
1976
*
Aéroport international de Moscou.
113.
UNE ENIGME SCIENTIFIQUE
ou
pourquoi les aborigènes ont-ils mangé Cook ?
Ne
quittez pas les bras de vos petites amies
Pour
de belles étrangères coûte que coûte.
Souvenez-vous
qu'aux abords de l'Australie
Navigua
jadis le défunt Cook.
Là,
sous l'azalée épanouie,
Se
dévoraient l'un l'autre, tant et plus,
Sous
le chaud soleil de l'Australie,
Les
farouches indigènes du cru.
Pourquoi
donc les indigènes mangèrent-ils Cook ?
La
Science ne dit mot, elle a des doutes.
Mon
idée à moi est simple, elle tient la route :
Ils
avaient faim, ils ont mangé Cook.
On
dit que leur chef, un père fouettard, criait partout que
Le
cuistot était très bon sur la felouque.
Voilà
l'erreur. La Science est en déroute.
Ils
voulaient le maître-coq, ils ont mangé Cook.
Il
n’y a pas eu d'embrouille ni d'entourloupe,
Comme
des Sioux, les voilà qui viennent en groupe,
A
peine s'arment-ils de massues de bambou que
Paf,
un coup sur le caillou, et adieu Cook !
Certains
avancent en supposition
Qu'ils
l'ont mangé par considération,
Que
c’est le sorcier qui aurait lancé la troupe :
"Allez-y,
les gars, attrapez-moi Cook !
Celui qui sans sel s'en fera un casse-croûte
Aura
la force, la gentillesse, l'audace de Cook !"
A
peine sous la main de quelqu’un tombe un caillou que
Il
le balance, adieu le brave Cook !
Qui
peut comprendre quelque chose à ce souk ?
Comment
les sauvages ont mangé Cook ?
Quel
goût il avait ? La Science émet des doutes.
Qu'importe
la raison puisqu’il n’y a plus de Cook.
Les
sauvages ne sont pas dans leur assiette,
Cassent
les arcs. Les javelots, ils les jettent,
Mettent
les massues de bambou au clou.
Ils
digèrent mal d'avoir mangé Cook.
1976
114. LE MEILLEUR DES
MONDES
Je vis dans le meilleur
des mondes.
De chaumière n'ai nul
besoin.
La terre m'est lit, le
val une tombe,
Le ciel un toit, le bois
des murs sombres,
Un frisson dans les reins
Et je suis très bien.
Le soleil chauffe. Nul
besoin de bois
Vous pouvez tous venir
chez moi,
Dommage que le toit ne se
répare pas
Dans ce meilleur des
mondes qui soit
Il y a des ondées parfois
Mais je suis très bien.
Tout est superbe, tout me
convient,
Je glorifie les dieux, ma
foi.
Je peux serrer ma
ceinture un brin.
A cheval, je circulerais
bien.
Seulement, je n'en ai
pas.
Mais je suis très bien.
1976
115. JE MOURRAI BIEN UN
JOUR
Je mourrai bien un jour.
On meurt tous. C'est
chose certaine.
Mais comment faire en
sorte
De mourir un couteau dans
le dos ?
Les victimes, on les
choie,
On les chante, on leur
promet l'Eden.
Ne parlons pas des
vivants,
C'est les morts que l'on
cajole plutôt.
Tête première dans la
boue
De côté, joliment, je
m'affale,
Et mon âme s'enfuira
Au galop, sur des chevaux
volés.
Dans les champs Elysées,
Je déroberai les pommes
rose pâle.
Mais les gardes sont là
Qui vous fauchent d'une
balle sans hésiter.
C'est la fin de ma course
En voilà, un drôle de
Paradis !
Une lande pelée,
Un Néant complet et sans
frontières.
Au milieu de ce Néant
Un portail de fer forgé
surgit
Le peuple exténué
Au portail fixe le
portail de fer.
Mon cheval limonier
A frémi. Je le calme d'un
mot doux
Et d'une tige de chanvre,
Je lui peigne la crinière
doucement.
Un vieillard à cheveux
blancs
Longtemps a tripoté le
verrou.
Il gémit, soupira,
Sans succès, repartit
finalement.
Exauce nos voeux,
Seigneur !
Et de voeux, en ai-je
émis tellement ?
Juste avoir des amis,
Que ma femme pleure à mon
enterrement,
Et pour eux, pour eux
seuls,
J'irai cueillir les
pommes rose pâle.
Mais les gardes sont là
Qui vous fauchent, à coup
sûr, d'une balle.
Le peuple éreinté
Reste coi, le visage
inexpressif,
Les genoux engourdis,
S'accroupit sans dévier.
Ça, c'est super, les gars,
On nous reçoit au son des
fifres.
On a tourné en rond.
Au-dessus, on peut voir
le Crucifié.
Et avec les chevaux
Je regarde : une zone
pour toutes les zones
Les portes fleurent le
pain.
ça vaut mieux qu'avoir les mains liées.
Je suis toujours sain et
sauf.
Mais je me suis saoulé
d'ozone.
J'ai la bouche pleine de
fleurs,
Les jurons, je ne peux
plus les prononcer.
Se mordant les poignets
Ont passé deux fantômes
blafards.
Au cri de "Frappe le
rail"
Des clochards comme des
anges ont volé.
ça, c'est super, les gars,
On nous reçoit vraiment
en fanfare.
Non, c'est un bruit de
clés.
Ah, enfin, il les ont retrouvées
!
J'ai reconnu le vieillard
A ses larmes sur ses
joues flasques,
C'était Saint Pierre
l'Apôtre.
Lui, le saint apôtre,
moi, le fanfaron.
Il y a des jardins,
Des pommes gelées, de
pleines vasques.
Mais les gardes sont là.
Je suis mort d'une balle dans le front.
Et les chérubins planent.
L'ange du mirador a
l'accent, c'est curieux !
Le Christ ne demandera
rien
Et aux arbres, j'arrache
les fruits gelés.
Quel bonheur, ce coup de
feu !
Car revenir sur Terre,
enfin, je le peux.
Je t'apporte les pommes.
En mon sein, je les ai
réchauffées.
Je mourrai à nouveau.
S'il le faut, nous
mourrons deux fois, pardi.
J'ai réussi, notre Père,
Pas tout seul. J'ai une
balle dans l'estomac.
Ainsi les fusillés,
De la terre, on leur
promet le paradis
Et du paradis, la terre.
Aide-toi et le ciel
t'aidera.
Je force alors mes
chevaux
Loin de ce coin pourri,
sépulcral.
Ils voudraient de
l'avoine
Mais ils ont le mors à
ronger.
Je leur donne du fouet,
Tout au bord de ce
gouffre abyssal.
Je t'apporte une brassée
De pommes, à toi qui
m'attendais.
1977
116. MA DOUBLE DESTINEE
J’ai bien vécu le premier
tiers
De ma vie, vingt ans sur
cette vieille terre
Comme on me l’enseignait.
Je vivais tranquille,
toujours actif,
Le fleuve charriait mon
petit esquif
Comme il le voulait.
Les tourbillons le
faisaient craquer,
Et les virages le
faisaient grincer :
Je n’entendais pas.
A me chausser, me
déchausser,
Dans l’eau contemplant
mon reflet,
Je buvais ma vodka.
Tandis que je vivais la
belle vie,
Vint le brouillard et me
voici
En mauvaise posture.
Et une éléphantesque
vieille
Me ricana dans les
oreilles,
La sale créature !
Je crie, mais mon cri ne
s’entend pas.
Je n’ai pas la trouille
une seule fois,
Je suis aveuglé.
Pris dans le vent, je
pose une question :
« Qui est
là ? » et on me répond :
« Je suis
Adversité !
C’est inutile de te
signer !
Elle ne pourra pas te
sauver
La Vierge Marie !
Barre et rames lâchées
sur une barque
Et l’Adversité vous
embarque :
Telle est la loi, tant
pis ! »
Et, haletante, cette
mémère
Obèse écrase les mottes
de terre
D’une démarche grossière.
A tâtons, je cherche mon
chemin,
Je bois de la bière,
mais, juste un brin,
Juste un petit verre.
Soudain, devant moi,
arrive, habile
La Fausseté, cette
boiteuse agile
Avec sa gueule de
fouine :
« Ne sois pas
triste, qu’elle dit, camarade,
Mon pauvre petit poivrot
maussade
Il ne faut pas que tu te
chagrines ».
Moi, je hurle à me
déchirer :
« Emmène-moi avec
toi, Fausseté,
On me tient en
laisse !
Je me fiche bien que tu
soies bancroche
Que tu aies les bras tors
et les yeux moches,
Il faut que je
disparaisse ! »
Sur sa bosse, je grimpe
tant j’ai les jetons,
Mais Fausseté tournait en
rond
A cause de sa jambe
folle.
Je tombe et je rampe sur
le bide,
Elles ricanent de toutes
leurs rides,
Les deux vieilles
ignobles.
Je ne serai peut-être pas
gras, mais je serai vivant…
Devant le gouffre, que de
tourments,
Au fond, que de
plaies !
« Je te donne une
bouteille, Fausseté.
Tes défauts, je vais les
corriger.
Tu ne m’as pas
aidé !
Et toi, la vieille
Adversité !
Dans le verre, tu auras
la vérité :
Ça te sera
salutaire !
C’est dur d’être pesante
comme toi.
Après dix gorgées, tu
verras,
Tu seras
légère ! »
Et les deux vieilles
tombent gloutonnement
Sur la bouteille de nanan
Et s’enivrent à fond.
Derrière les mottes, je
vais me terrer
Je marche à reculons, je
suis aux aguets,
Je saute du raidillon.
Je jette un coup
d’œil : une barque attend.
Mais hurlant des
« oh ! » sauvagement
Pour me harceler,
Arrivent, poussant des
cris d’orfraie,
Mes deux destinées :
la Fausseté
Et l’Adversité.
Je rame à perdre la
conscience
Ne sachant plus si je
vais dans le sens
Ou contre le courant.
Mais Adversité et
Fausseté
De dépit et d’ébriété
Sont restées en plan.
1977
117. LE TRIANGLE DES
BERMUDES
(Lettre de l'asile
Kanaltchikov à la rédaction de la TV)
Monsieur le
Réalisateur,
L'asile entier
presque en pleurs
S'est rué sur le
récepteur,
C'était samedi
dernier.
Au lieu de dîner, de
se laver,
Se faire piquer, et
puis de sombrer
L'hôpital s'est
rassemblé
Au complet devant la
télé.
Un fin renard avec
éloquence,
Nous parle, sans
certitude,
De l'impuissance de
la science
Devant le mystère des
Bermudes .
Ça nous a mis le
bulbe en miettes,
En pelote les
circonvolutions,
Et les infirmiers,
aussi sec,
Nous refont une
injection.
Il vaudrait mieux,
cher rédacteur,
Nous parler de
réacteurs ?
Ou de notre cher
luno-tracteur *?
On ne peut pas comme
ça, chaque fois :
C'est des soucoupes
qui nous affolent,
A bord , des vauriens
s'envolent,
Ce sont des ruines
douées de parole
Ou ce sont vos chiens
qui aboient.
On casse, histoire de
se faire la main
Des soucoupes toute
l'année.
On y a mangé du
chien,**
A ce que dit le
cuisinier.
Et les médicaments,
pardi,
Par pleins seaux dans
les vécés,
Qu'en voilà une, de
belle vie !
Mais vos Bermudes !
Là, faut cesser !
Nous, on n'a pas fait
de scandale.
On manquait de chef
génial,
Pas de vrais
émeutiers, tu parles !
Donc, de coryphée que
nenni.
Sur toutes leurs
intrigues insensées
Nous, eh bien, on a
jeté le filet
Et nos messes ne
seront pas perturbées
Par les intrigues de
nos ennemis.
Ce sont leurs démons
habiles
Qu'ont bermutroublé
l'eau limpide.
C'est ce qu'a imaginé
Churchill,
En mille neuf cent
dix et huit.
On a écrit à l'agence
TASS,
Sur les feux, les
explosions, une note.
Les infirmiers
accourent en masse
Nous remettre la
camisole de force.
Ceux qui étaient bien
excités
Sur les lits furent
attachés.
Ecumant comme un
sorcier
Un parano se mit à
hurler :
"Les serviettes,
détachez-les,
Bande d'hérétiques,
bandes d'impies.
On a le cœur
bermutroublé
On a l'âme qui
berlanguit"
Quarante âmes
chauffées à blanc
Qui à tour de rôle
hurlèrent,
Vous voyez comme
c'est troublant,
Ces histoires
triangulaires !
Presque tous ont
déraillé,
Même les vrai fous à
lier.
Le médecin-chef, dans
la foulée,
A supprimé la télé.
On l'a vu le long des
rideaux
Cachant, le serpent,
la prise dans le dos.
Il faisait signe à un
costaud.
Le garde-malade
arrache les fils.
Il ne restait plus
que les injections
Pour dégringoler au
fond
Et pour nous perdre
dans le fond
Comme dans le
Triangle des périls.
Si nos enfants nous
demandent
En visite demain :
"Voilà,
Papa, qu'est-ce
qu'ils en pensent,
Les candidats en
doctorat ?"
On dira à nos gamins
La vérité. Ils sont
intéressés :
"Le mystère
n'est pas très loin,
Mais il n'est pas
autorisé. "
L'artisan-dentiste
Roudik
A un transistor
Grundig.
Durant des nuits, il
le trafique
Pour capter la RFA.
Il y faisait le
commerce d'effets.
C'est en transe qu'il
est arrivé
(Avec l'estomac
tourmenté)
Et sur le pied un
chiffre en gras.
Il a fichu la panique
Avec cette information,
Que notre bateau
scientifique
Dans le triangle, a
fait le plongeon.
Son combustible
épuisé,
Il s'est désintégré
sur l'heure.
Mais deux de nos
frères aliénés,
Furent sauvés par des
pêcheurs.
Ceux qui ont vécu le
cataclysme
Ont sombré dans le
pessimisme.
Hier, dans une sorte
de prisme,
A l'hosto, ils les
amenèrent.
L'un d'eux, chef en
mécanique,
Fuyant les sœurs,
nous indique
Que ce polyèdre
bermudique
Etait le nombril de
la Terre.
"Comment tu t'en
es sorti ?"
Qu'on lui a tous
demandé.
Mais le mécanicien
transi,
Cherchait partout de
quoi fumer.
Il pleurait, il
rigolait,
En hérisson, se
mettait en boule,
Ou alors, de nous il
se moquait.
Qu'est-ce que tu veux
faire d'un maboul ?
Lors, un ancien
alcoolique,
Un séditieux, un
excentrique,
A dit :"Mais,
c'est véridique,
Ce triangle, il faut
le boire.
On peut boire tout,
ça, c'est sûr
A trois, ça ne va pas
être dur.
Que ça soit n'importe
quelle figure,
Même une sphère, bon
sang de bonsoir."
C'est sûrement une
idée de dément,
Mais ne coupez pas
derechef,
Répondez-nous
rapidement,
En passant par le
médecin-chef.
Agréez, date,
signature
Et répondez-nous
bientôt.
Si vous refusez, pour
sûr
On écrira ... au
loto.
1977
Notes :
* il s'agit du
Lunokhod : premier engin motorisé envoyé sur la Lune
** manger un chien sur
qch : expression signifiant: acquérir de solides connaissances sur le sujet
autre
version ?:
117. LE TRIANGLE DES BERMUDES
(Lettre de l'asile Kanaltchikov à la rédaction de la TV)
Monsieur le Réalisateur,
L'asile entier presque en pleurs
S'est rué sur le récepteur,
C'était samedi dernier.
Au lieu de dîner, de se laver,
Se faire piquer, et puis de sombrer
L'hôpital s'est rassemblé
Au complet devant la télé.
Un fin renard avec éloquence,
Nous parle, sans certitude,
De l'impuissance de la science
Devant le mystère des Bermudes .
Ça nous a mis le bulbe en miettes,
En pelote les circonvolutions,
Et les infirmiers, aussi sec,
Nous refont une injection.
Il vaudrait mieux, cher rédacteur,
Nous parler de réacteurs ?
Ou de notre cher luno-tracteur *?
On ne peut pas comme ça, chaque fois :
C'est des soucoupes qui nous affolent,
A bord , des vauriens s'envolent,
Ce sont des ruines douées de parole
Ou ce sont vos chiens qui aboient.
On casse, histoire de se faire la main
Des soucoupes toute l'année.
On y a mangé du chien,
A ce que dit le cuisinier.
Et les médicaments, pardi,
Par pleins seaux dans les vécés,
Qu'en voilà une, de belle vie !
Mais vos Bermudes ! Là, faut cesser !
Nous, on n'a pas fait de scandale.
On manquait de chef génial,
Pas de vrais émeutiers, tu parles !
Donc, de coryphée que nenni.
Sur toutes leurs intrigues insensées
Nous, eh bien, on a jeté le filet
Et nos messes ne seront pas perturbées
Par les intrigues de nos ennemis.
Ce sont leurs démons habiles
Qu'ont bermutroublé l'eau limpide.
C'est ce qu'a imaginé Churchill,
En mille neuf cent dix et huit.
On a écrit à l'agence TASS,
Sur les feux, les explosions, une note.
Les infirmiers accourent en masse
Nous remettre la camisole de force.
Ceux qui étaient bien excités
Sur les lits furent attachés.
Ecumant comme un sorcier
Un parano se mit à hurler :
"Les serviettes, détachez-les,
Bande d'hérétiques, bandes d'impies.
On a le cœur bermutroublé
On a l'âme qui berlanguit"
Quarante âmes chauffées à blanc
Qui à tour de rôle hurlèrent,
Vous voyez comme c'est troublant,
Ces histoires triangulaires !
Presque tous ont déraillé,
Même les vrai fous à lier.
Le médecin-chef, dans la foulée,
A supprimé la télé.
On l'a vu le long des rideaux
Cachant, le serpent, la prise dans le dos.
Il faisait signe à un costaud.
Le garde-malade arrache les fils.
Il ne restait plus que les injections
Pour dégringoler au fond
Et pour nous perdre dans le fond
Comme dans le Triangle des périls.
Si nos enfants nous demandent
En visite demain : "Voilà,
Papa, qu'est-ce qu'ils en pensent,
Les candidats en doctorat ?"
On dira à nos gamins
La vérité. Ils sont intéressés :
"Le mystère n'est pas très loin,
Mais il n'est pas autorisé. "
L'artisan-dentiste Roudik
A un transistor Grundig.
Durant des nuits, il le trafique
Pour capter la RFA.
Il y faisait le commerce d'effets.
C'est en transe qu'il est arrivé
(Avec l'estomac tourmenté)
Et sur le pied un chiffre en gras.
Il a fichu la panique
Avec cette information,
Que notre bateau scientifique
Dans le triangle, a fait le plongeon.
Son combustible épuisé,
Il s'est désintégré sur l'heure.
Mais deux de nos frères aliénés,
Furent sauvés par des pêcheurs.
Ceux qui ont vécu le cataclysme
Ont sombré dans le pessimisme.
Hier, dans une sorte de prisme,
A l'hosto, ils les amenèrent.
L'un d'eux, chef en mécanique,
Fuyant les sœurs, nous indique
Que ce polyèdre bermudique
Etait le nombril de la Terre.
"Comment tu t'en es sorti ?"
Qu'on lui a tous demandé.
Mais le mécanicien transi,
Cherchait partout de quoi fumer.
Il pleurait, il rigolait,
En hérisson, se mettait en boule,
Ou alors, de nous il se moquait.
Qu'est-ce que tu veux faire d'un maboul ?
Lors, un ancien alcoolique,
Un séditieux, un excentrique,
A dit :"Mais, c'est véridique,
Ce triangle, il faut le boire.
On peut boire tout, ça, c'est sûr
A trois, ça ne va pas être dur.
Que ça soit n'importe quelle figure,
Même une sphère, bon sang de bonsoir."
C'est sûrement une idée de dément,
Mais ne coupez pas derechef,
Répondez-nous rapidement,
En passant par le médecin-chef.
Agréez, date, signature
Et répondez-nous bientôt.
Si vous refusez, pour sûr
On écrira ... au loto.
1977
* Lunokhod : premier engin lunaire motorisé.
118.
GLACE AU-DESSUS
Glace
dessus, glace dessous, au milieu je languis.
Percer
le haut ou bien forer le bas ?
Remonter,
ne pas perdre l'espoir et puis,
Au
travail, dans l’attente des visas.
Glaces
au-dessus, déchirez-vous, craquez !
En
sueur, tel le laboureur à l'araire.
Comme
le navire des chansons, je te reviendrai,
Me
remémorant tous mes anciens vers.
J'ai
moins d'un demi-siècle, quarante et quelques.
Protégé
par le Seigneur et par toi, je vis.
J'ai
de quoi chanter, quand je serai devant l’Eternel.
J'ai
de quoi me justifier devant Lui.
1980
autre version ?:
118. GLACE AU-DESSUS
Glace dessus, glace dessous, au milieu je languis.
Percer le haut ou bien forer le bas ?
Remonter, ne pas perdre l'espoir et puis,
Au travail, dans l’attente des visas.
Glaces au-dessus, déchirez-vous, craquez !
En sueur, tel le laboureur à l'araire.
Comme le navire des chansons, je te reviendrai,
Me remémorant tous mes anciens vers.
J'ai moins d'un demi-siècle, quarante et quelques.
Protégé par le Seigneur et par toi, je vis.
J'ai de quoi chanter, quand je serai devant l’Eternel.
J'ai de quoi me justifier devant Lui.
1980