NOUVEL ÉLAN

 

 

Je ne vais pas trop parlé de ce projet-écriture de peur de le noyer d’intentions, de mettre à terme un mort-né. Au mois de juillet dernier, à l’aide de mon frère, j’ai découvert divers procédés d’enregistrement artistiques de la dérive. Pendant notre chasse aux désirs, j’ai eu de temps en temps un sursaut de volonté qui m’a permis d’imprégner une situation sur du papier : photos, lignes, dessins, bande magnétique.

Appâté par le plaisir éprouvé lors du processus d’enregistrement et curieusement mais agréablement détaché vis-à-vis des "traces ultimes", je voudrais bien sûr réitérer l’expérience. Les frustrations ressenties lors de cette expédition sont peut-être les résultats les plus tangibles. Elles portent en elles des regrets. Elles se lisent à travers les ébauches matérialisées dans les traces imprimées. Elles réorientent  ma démarche depuis lors. Une frustration exprimée, comme un silence avec un hôte conducteur, trop de feuilles blanches, pas assez d’ambiances vangoguisées…porte en elle la force d’aller plus loin l’instant d’après. L’interviewer affûte ses questions à l’exigence des témoins qu’il cuisine !

Ma manière de lire a aussi changé depuis. J’ai trouvé quelques liens de connivence chez Paul Auster, et ses vagabonds qui se marginalisent, Amélie Nothombe, et son langage débridé, sa relation poétique au monde environnant, et Didier Daenincks. Je crois que j’ai trouvé chez ce dernier quelques « recettes d’écriture ». Je compte les tester au cours de ce voyage d’étude/écriture. Étude de contextes socio-politiques, quête de personnalité, de personnages, de dialogues, de lieux déchantés mais enchanteurs, quelque part…

D.Daenincks, à la manière des historiens, est un combattant de la mémoire. Tant que des personnes auront  la force de témoigner en trichant le moins possible...Car quand on décrit aux autres, on a d'abord l'impression  de radoter, de manipuler ce que l'on connaît déjà. c'est ce qui tétanise la main qui tient la plume pour se raconter à quelqu'un. Mais quand on donne vie à ce miroir de mots, on se met à redouter d'autres élans incalculés. Notre plume lutte pour sa liberté. Une partie de nous-même veut la dompter, la domestiquer, contrôler ce qu'elle brûle de signifier !

 J'ai cru comprendre que l'écrivain décrivait les mécanismes de la vie, un connaisseur du "comment ça marche?", à la curiosité étirée.

Pourquoi choisir l’axe Paris-Poitiers-Kiiv ? Peu de transport à payer, peu de formalités et une relative proximité linguistique et culturelle. Un ami courageux aussi qui s'y trouve. Un autre ami qui traîne vers l'impasse méditerranéenne...

Pendant ces quelques semaines où ce projet a été humainement reporté, j'ai fait quelques rencontres...

J'ai relu un formidable carnet de voyage. Tenu par un militant hors-dogme, il est consacré aux gens des Balkans. François Maspero a pas mal bouldingué dans ces régions et il s'est lié d'amitié avec un autre "explorateur de l'ordinaire": le photographe Klavdij Sluban. Ce dernier voyage, ils l'ont fait à deux et je reconnais un peu de moi dans leurs démarches. 

Notamment quelques phrases sur l'attente et l'imprégnation nécessaire avant de commencer à voir une ville. Et aussi l'enveloppe invisible qui blinde le voyageur au milieu des passants et des permanents. Cette patience est l'une des techniques qui font qu'un "touriste" verra et l'autre pas. Chaque instant de connivence est une heureuse surprise. L'attente au sein d'une foule devant un guichet malthusianiste, et la décision de remettre à un autre jour un départ, comme brusquement inspiré par l'expérience cumulée(Lorsque les deux pieds-nickelés sont arrivés à Ruzé, en Bulgarie, tout près du Danube finissant et de son pont de l'Amitié).

Le regard qu'on pose, l'angle de vue que l'on choisit  de porter sont des  manières de témoigner qui "enchaînent" le témoin. Les professionnels de l'information, de l'expression n'ont pas la liberté de l'artiste individuel qui ne travaille pas, et n'est pas payé,  sur commande. Klavdij raconte comment les reporters TV qu'il accompagnait sur les fronts de Bosnie dénaturaient avec professionnalisme leur témoignage. Pour des raisons de "simplifications". Quelle différence cela fait-il que ce soit des Serbes ou des Monténégrins qui bombardent Dubrovnik?! 

Dans un autre chef d'œuvre, Petits Blancs, vous serez tous mangé!, l'auteur est témoin d'e l'interview que donne un célèbre réalisateur de documentaires sur les guerres civiles en Afrique à un paysan d'Afrique noire. Il s'aperçoit avec stupéfaction qu'il n'écoute pas et ne se soucie pas du tout du français très rudimentaire du paysan. Il lui assène les questions et interprète ses réponses avec un grand sourire sans faire appelle à un traducteur pourtant présent. Le résultat montre un homme déstabilisé et malmené par des questions et qui s'exprime difficilement.

A suivre...